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LA CHAPELLE SAINT CHRISTOPHE

 

Daniel FAURIE

La Poterie , bords du Scorff

 

 

La petite Jade a 6 ans. Elle vit à l’ombre de notre belle chapelle St Christophe qui, elle, a un demi-millénaire : 500 années qu’elle trône sur son promontoire et regarde passer les eaux du Scorff dans les deux sens.

Nous allons raconter l’histoire, les histoires, à la petite Jade ; car cet édifice religieux, aussi modeste soit-il, n’a pas traversé ces époques sans quelques souvenirs.

Pas de date de naissance, aucun parchemin : 1505 approximatif. Nulle trace de nom sculpté dans la pierre. Aucun grimoire conservé à l’évêché ni ailleurs. Et voilà que sa ressemblance avec St Germain des Prés lui donne une origine approximative ; St Christophe « des Montagnes »…

Cette chapelle fut édifiée sur son promontoire rocheux dominant le fleuve par les princes de Guémené qui possédaient le château de Trefaven, fortifié en 1474. Il y avait pourtant une chapelle St Judicaël (St Armel) et son chapelain Dom Alanou, un moulin à marée, une métairie et, sur l’autre rive, le château de Pendreff (château du Diable) ; quelques masures : le village de Ker an Trech ; depuis les Romains, le gué sur le fleuve, la voie romaine… le passage à gué. Kerentrech, en celte : « village au bord du gué ».

La chapelle St Christophe aurait été édifiée en l’honneur du passeur d’eau.

 

Revenons à la légende de St Christophe :

Au IIIème siècle Christophe s’installe comme passeur auprès d’un fleuve…un enfant demande son aide.

Au fur et à mesure de la traversée l’enfant pèse de plus en plus.

Christophe dit : « le monde entier ne serait pas plus lourd ».

-« Tu as porté celui qui a créé le monde. »

 

La chapelle comporte une seule nef principale avec un clocheton pointu sur un beffroi ; par la suite on ajoutera la sacristie (les pierres en sont différentes – 1791) ; bas-coté regardant le Scorff ; le placître. Le pourtour portait un petit cimetière qui perdura jusqu’au XIXéme siècle.

La vue était sûrement la plus belle, sans aucun pont : les tours de Trefaven et, en face, l’autre Kerentrech (les deux quartiers portent toujours le même nom, en vis-à-vis) ; Lorient / Lanester. Le Parc à Bois n’était qu’une pêcherie, avec ses canaux dans la vase luisante. Le Scorff était une nurserie à poisson ; la poldérisation et la pollution ont fait ce qu’il est devenu et Natura 2000 ne pourra rien changer.

Si on regardait vers l’estuaire on pouvait apercevoir le manoir de Dom Fagoët, les bois qui couvraient le plateau rocheux de « Fandie », une métairie, un pigeonnier. Le Scorff creusait entre le plateau et le socle rocheux une vasière qui faillit devenir le port de commerce de L’Orient ; un petit port y donnera par la suite le nom de côte d’Alger. Pour sûr il aurait fallu enlever bien des vases mais le Scorff était navigable, la Compagnie de Saint Domingue y avait des magasins.

Donc ce furent les Espagnols, qui étaient en poste à la citadelle de Port Blavet (Port Louis en 1618) durant la guerre de la ligue, qui firent les tous premiers pèlerinages. Philippe II d’Espagne occupait les villes de la côte bretonne et Port Blavet. On comprendra par la suite cette venue de singulières caravanes…

Il fallut quelques décennies, et le pardon de St Christophe, par delà les Pyrénées, devint célèbre. Trois mois durait le voyage ; s’en venaient avec femmes et enfants des chefs de famille espagnols, avec de chatoyants costumes nationaux et de tintinnabulantes mules chargées, harnachées. Ils venaient célébrer le bon St Christophe, celui qui donnait la force musculaire aux enfants un peu chétifs. Aussi en face de la chapelle les hostelleries « de Toulouse », « de la Vierge », l’hôtel de Sévigné, logeaient les caravaniers.

Au XVIIIème siècle le pardon de St Christophe perdure. Il est tout autant folklorique que religieux.

La matinée passait à honorer le saint. Les mères de famille amenaient leurs enfants, les plus chétifs, et nombre de curés disaient des oremus, leur étole étalée sur leurs jeunes têtes ; tous intimidés par le cérémonial. Les files d’attente étaient longues. Puis l’après-midi devenait fête profane, ce dimanche après le 25 juillet. Les ouvriers, les charpentiers, les soldats, les marins des frégates, les corsaires en relâche dans le port, matelots de toutes les mers et leurs « compagnes », ils prenaient place sur des tréteaux pour boire le vin, le cidre, l’eau de vie, voir les luttes bretonnes dont les charivaris étaient tonitruants ; un cheval en était l’enjeu.

Après les libations les esprits s’échauffaient et s’ensuivaient des rixes. En juillet 1735 l’après-boire devint une très grosse querelle entre les paysans de la paroisse de Ploemeur et les ouvriers de Lorient, relatée dans les gazettes : plaies et bosses… pas de mort. Tout se terminait par des chansons et des feux d’artifice le long des berges et un énorme feu de bois sur la cale du passeur.

Plus tard, le pardon attirant tant de gens, il fut scindé en trois : les trois premiers lundis du mois de mai. Une belle pagaille ; les pèlerins tournaient trois fois autour du sanctuaire gothique, le pardon des petits enfants, puis allaient boire à la fontaine St Christophe, qui soignait les diarrhées, à quelques centaines de mètres (que n’a t’on pas déplacé cette fontaine asséchée sur le petit parvis de la chapelle !). Et les petits maigrichons pouvaient se refaire une santé avec des étals si bien achalandés : tortillons enfilés sur des branches (briquets circulaires), berlingots, ballons, médailles, petits moulins à vent, objets de dévotion, fruits, crêpes et gâteaux, confettis, imagerie religieuse. Tout pour le corps ; pour l’esprit. C’était comme l’on dit la foire au pain d’épices.

Que sonnent les cloches, dans le joli clocheton au dessus d’une tour formant beffroi avec sa balustrade en pierres croisées d’un bel effet architectural.

Les coups de vent tempétueux de notre vallée endommagèrent le petit clocher. On le refit en 1845 en bois et ardoises. Il devait dénaturer notre belle chapelle ; devenu vermoulu, on le remplaça par le lanterneau que nous connaissons maintenant (éclairé, mais quel effet que ces deux lumières contradictoires car l’une est chaude et l’autre froide).

Puisque la chapelle a 500 ans et Jade 6 ans, qu’on a enfin construit un escalier qui mène au parvis, qu’on va arborer les contreforts avec des rhododendrons, qu’on va enterrer les fils disgracieux qui sont d’une laideur incontournable, alors revoir les projecteurs ! Et Marie-Perrine, la cloche bénie en 1822, serait la plus fière.

Entrons dans la chapelle : la charpente est d’origine, sablière (pièce de bois courant le long des murs) et entraits sont sculptés. En 1943 les bombes incendiaires firent fondre les vitraux et brûler le mobilier à l’intérieur. Dans une liste établie juste après la guerre, la chapelle St Christophe fait partie des bâtiments entièrement détruits ; petite filouterie pour avoir des subsides. Notre voisin Marc C., spécialiste de la rénovation des monuments historiques, déclare : « nous avons remis les piliers supportant le chapiteau en état, et revu quelques joints et autres éraflures ». Pendant les travaux les ouvriers couchaient dans la villa Suzanne, cette jolie maison au pied du rocher St Christophe ; laquelle trempait ses fondations dans les eaux du Scorff au bout d’un très joli jardin public – cela avant que le boulevard du Scorff (1958) vienne dénaturer la joliesse de ce coin bucolique à souhait.

Dans cette villa, Stosskoff et Marie-Louise Régnier habitèrent avant la guerre. Saluons au passage le martyr de ces lieux : résistant-direct de l’Arsenal, déporté, assassiné par les Allemands (1944).

La maison de Jade avait une terrasse qui dominait le fleuve et le pont St Christophe, jouxtant la villa et rappelant un Lorient 1900-1910 aux briques colorées et vernissées.

 

Remontons à la chapelle par l’escalier (2006). En d’autres temps il y avait une statue des plus monumentales de St Christophe, dont les yeux terrifiaient les enfants (pauvres gamins venus chercher un peu plus de compassion que d’effroi). Alors en 1825 le curé lui fit sauter les yeux, le bon bougre ; il mourut aveugle la même année, diantre ! Et l’on refit une statue plus sympathique : une lecture nous apprit que l’on fit une statue nouvelle dans la jambe de la colossale… Il a existé plusieurs statues. L’une était creuse et servait de planque aux contrebandiers, très actifs dans ces lieux de gué, de passage, d’octroi… Les quartiers bas n’étaient pas très bien famés.

Notre chapelle servait d’église paroissiale : on maria, on baptisa même les habitants de la nouvelle ville de L’Orient. Puis une église fut édifiée, premier édifice en pierre de l’intra muros (1676). Dans une ville tout en bois, on enterra, et même des bagnards car Trefaven fut aussi une prison (de 1720 à 1834). Plus haut sur les hauteurs on érige Notre-Dame de Bonne-Nouvelle qui déclasse la chapelle à son profit (1854).

La chapelle toute simple est un sanctuaire rectangulaire qui se termine sur un chevet à trois pans. Dans ces murs s’inscrivent au soleil levant trois vitraux : l’un représente St Christophe, les deux autres les pèlerins se rendant au pardon (œuvres de Hubert Sainte Marie, maître verrier de Quintin, 1954). Un saint qui tomba de son socle perdit la tête dans sa chute ; celui-ci dût aller piquer une tête dans le Scorff.

On peut voir sur un linteau une fleur de lys, particularité datée vers 1536, l’union de la France à la Bretagne  ; un bénitier classé en 1912, en granite XVIe ; hélas les angelots qui l’ornaient ont subi les affres du temps et de la guerre. Le baptistère est en schiste, il provient de la chapelle de la Compagnie des Indes.

D’une tribune on accède au clocher et au balcon, et à Marie Perrine la cloche (1862). Juste en dessous une porte s’inscrit dans une anse de panier admirablement proportionnée, superbe appareillage de granite arrondi dans un redan pris dans l’épaisseur du mur. Plus haut une arche contribue à solidifier l’ensemble de ce portail.

Un calvaire trône à l’entrée (1935) ; les villas viendront s’installer sur son pourtour : vue imprenable sur l’élément aqueux qui reflète les lumières de l’estuaire.

Zone de Texte:  On classera le rocher et la chapelle en 1931 et 1934 à l’inventaire des monuments historiques. En 1930 St Christophe devient le saint patron des automobilistes. On instaure un pardon mais les lieux sont exigus. On déplace le pardon sur le parvis de N.-D. de Bonne Nouvelle : 94 voitures sont bénies en 1934, 100 en 1949. « Regarde St Christophe et va t’en rassuré » : les porte-clefs font leur apparition. Puis le « pardon des petits enfants », dont beaucoup de Lorientais peuvent encore témoigner, périclita. Il renaît par la volonté de quelques parents voulant des enfants sains, en bonne santé, protégés par notre saint.

Alors Jade ! On se donne rendez-vous sur le parvis, tu deviendras une belle jeune fille à l’ombre de ta chapelle. Le 6 mai, n’oublie pas !

 

Bibliographie

Michel de GALZAIN – Chapelles de nos saints

Cahiers du Faouédic

UTL Lorient - Au delà des remparts

Marguerite LUCAS

A.LECLERE – Lorient en cartes postales

Yann LUKAS

F.JEGOU – Fondation de Lorient