A PROPOS DE MANGOLÉRIAN
Louis GOULPEAUMembre de
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Le 30 mars 2008, lors d’une de nos excursions archéologiques
dans le pays de Vannes, un groupe d’une soixantaine de membres de
notre Société d’Archéologie et d’Histoire du Pays de Lorient,
devait visiter le site défensif terroyé, dit du "camp de César"
en Saint-Avé (56). Les caprices de la météorologie n’ont pas permis
qu’il en soit ainsi. Aisément repérable sur la carte IGN 0820 O
[coordonnées GPS : X=520,850
– Y=5284,100] avec l’annotation "camp romain",
il est plus communément appelé "camp de Mangolérian". En
fait, strictement parlant, ce toponyme est associé à un hameau situé
au nord à Permettez-moi de vous en parler un peu plus. Ce "camp de Mangolérian" est situé en hauteur sur le promontoire de Guernevé [voir Guigon – 1990 (7)], au-dessus du confluent du ruisseau de Lihuanten (qui descend vers Vannes après être passé au hameau de Liscuit et à Saint-Avé) et d’un petit affluent arrivant du nord-ouest et qui s’écoule entre ce camp et le hameau du même nom. Il domine ainsi d’une cinquantaine de mètres le point de rencontre des deux talwegs où coulent les ruisseaux. Pour rejoindre le camp, le plus simple est de laisser sa voiture près de la station de pompage située au bout d’un diverticule branché sur la droite de la petite route qui mène de Rulliac à Kerbotin. Depuis ce parking, un chemin puis un sentier s’élève à flanc de coteau en suivant le bord sud du talweg où coule le petit affluent du ruisseau de Lihuanten. On arrive ainsi tout naturellement au camp.
On découvre alors, un fort talus qui barre la pointe de Guernevé
surplombant le confluent. Dans l’espace ainsi délimité, un complexe
de plusieurs hauts talus souligne par endroit le rebord au dessus de la
jonction des talwegs ou cloisonne cet espace. On perçoit mieux
l’ensemble en hiver ou au printemps lorsque la végétation en sommeil
ne masque pas trop par ses feuillages ces diverses structures. Avec un
peu de chance, le visiteur pourra même remarquer par endroit, le
parement de pierres qui protège certains de ces talus-murailles.
Disons tout de suite que ce "camp de hauteur" avec ses
forts talus de terre n’a typologiquement pas grand chose à voir avec
une fortification à la romaine. Il suffit de comparer avec le camp
romain de Kerfloc’h (situé D’après l’avis de plusieurs auteurs [Fleuriot – 1984 (5), Kerboul – 1997 (8), …], l’allusion la plus ancienne à ce site apparaît en 852 dans la chartre C.R. - XX du cartulaire de Redon (3). En voici l’essentiel (voir photocopie de l’original en figure 1) :
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Figure 1 : charte C.R. – XX du cartulaire de Redon (Image extraite du DVD : Le cartulaire de Redon) |
Haec carta indicat atque conservat quod dedit Altfrid machtiern ranmacoer Aurilian et ran Buduuere in elemosina pro anima sua et pro regno Dei sancto Salvatori et suis monachis in Rotono habitentibus ; …Facta est ista donatio in monasterio Roton ante altare sancti Salvatoris in natale sancti Mathei … coram multis nobilibus atque viris quorum ista sunt nomina : signum Altfrid qui dedit et firmare rogavit, Pascuueten, Ritguoret, Hocunan, … (suivent les noms de 15 autres témoins dont 3 prêtres). Actum est hoc anno nono regnante Hlothario imperator, Erispoe duce in Brittania, Courantgeno episcopo in Venetis.
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Cette
charte notifie et rappelle comment le machtiern Altfrid donna le ran
Macoer Aurelian et le ran Buduuere en aumône pour son âme et pour le
royaume de Dieu à Saint-Sauveur et à ses moines qui résident à Redon ;
… Cette donation a été faite au monastère de Redon, devant
l’autel du Saint Sauveur, en la fête de saint Matthieu, … en présence
de nombreux nobles et d’hommes dont les noms sont : ont signé
Pascuueten, Ritguoret, Hocunan, … Ceci
fut fait la 9ème année du règne de l’empereur Lothaire,
Erispoe étant duc en Bretagne, Courantgen évêque de Vannes. donc un acte signé le 21 septembre 852.
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Il
faut cependant noter que l’identification du ran
Macoer Aurilian avec le site de Mangolérian
est contestée par Guigon (6) qui préfère localiser le site, désigné
sous ce nom dans la charte XX du cartulaire de Redon, au moulin de Larré
(à près de - Le ran Buduuere associé au ran Macoer
Aurilian dans la charte (CR
- XX) se retrouve, avec une graphie un peu différente, dans une seconde
charte (C.R. – CCLI) signée en 849 en l’église de Molac. Le
donateur qui s’appelle alors Catmoet désigne des fideuissores
pour garantir la bonne exécution de l’acte. - Cette donation est faite "super
Atro flumine, in via que ducit de ponto Alurit ad ecclesiam Mulnaco",
c’est-à-dire "sur la rivière
Arz, sur la voie qui conduit du pont Alurit à l’église de Molac".
Guigon propose d’identifier le pont
Alurit avec le moulin de Larré, à proximité duquel se trouve
"une enceinte rectangulaire délimitée sur 3 côtés par un fossé
large de - La dénomination de ran Macoer Aurilian (Muraille d’Aurélien) aurait été induite par la présence de milliaires faisant référence à l’empereur Aurélien. De fait, un sarcophage (qu’on peut supposer mérovingien) creusé dans un milliaire érigé du temps d’Aurélien et donc réemployé a été découvert à Molac. Ce serait cette découverte du milliaire qui aurait, d’après Guigon, provoqué l’appellation de Macoer Aurilian par référence à cet empereur.
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Reste que l’identification avec l’empereur Aurelien du
personnage auquel on peut attribuer la muraille (macoer
Aurilian) par suite de la présence d’un milliaire au nom de cet
empereur trouvé à Molac est un peu légère. D’une part, sur les
voies romaines la présence de tels milliaires disposés régulièrement
en principe toutes les lieues (soit «Y
eut-il là une résidence d’Ambrosius Aurelianus ? ou d’un
homonyme obscur» [Fleuriot (5), p. 172]. Intéressons-nous donc un
peu plus à ce personnage.
Bien que connu presque uniquement des spécialistes et totalement
ignoré du grand public, Ambrosius Aurelianus est un personnage considérable
pour son époque et pour le monde britto-romain finissant (deux derniers
tiers du Vème siècle). Le déficit de notoriété de
celui-ci dans l’esprit de nos contemporains est lié à deux facteurs
principaux. *
1) Les écrits qui concernent
le Vème siècle sont rares et dispersés dans des sources
d’origines fort variées. Ceci est encore aggravé par le fait que
notre personnage est connu sous des appellations différentes (par son
nom ou par un titre) et dans des langues diverses selon l’origine géographique
de ces sources.
·
Gildas, le premier, dans le de Excidio Britanniae (~530 ap. JC) nous le fait connaître : «..
homme modeste qui, seul dans l’écrasement
de la nation romaine, ses parents vêtus de la pourpre y ayant été tués,
avait survécu, il eut la victoire avec la faveur du Seigneur.» (§
4) «..
depuis le temps d’Ambrosius tantôt les citoyens (les bretons) tantôt les ennemis (les saxons)
vainquaient… jusqu’à l’année du siège du Mons Badonicus,
massacre qui fut presque le dernier mais considérable de bandits.
» (§ 26)
·
Jordanès, qui écrit (vers 551-552 ap. JC) ses Gestica,
relate l’histoire des luttes entre les
Romains et les envahisseurs germaniques, citant entre autres évènements
pour 469. «..
apprenant cela, l’empereur Anthemius demanda aussitôt le secours des
Bretons. Leur roi Riotimus, arrivant avec 12.000 hommes, vint sur des
vaisseaux par l’Océan, débarqua et fut reçu dans la cité de
Bourges. Euricus, roi des Wisigoths, vint vers eux conduisant une armée
innombrable et combattant longtemps, il vainquit Riothime le roi des
Bretons, avant que les Romains ne se joignissent à lui. Ce dernier,
ayant perdu une grande partie de son armée , se réfugia chez les
Burgondes, nation voisine, fédérée des Romains.» On
doit à Fleuriot d’avoir montré que ce nom de Riothimus est en
fait l’équivalent d’un titre obtenu par déformation de l’ancien Riotamos
(roi suprême ou roi des rois). Ce
serait en quelque sorte le cognomen associé aux praenomen
et nomen Ambrosius
Aurelianus pour reconstituer les trianomina
romaines classiques. ·
Dans l’Historia Brittonum
attribuée à Nennius (~630 ap. JC), on retrouve cette terminologie sous
une autre forme [voir Lot – 1934 (10)] : «Guorthigirnus
régna en Bretagne et pendant qu’il régnait il était accablé par la
crainte des Pictes et des Scotts et la peur d’Ambrosius roi des Francs
et des Bretons de Letau.» (§ 32), «…
par la permission d’Ambrosius
qui fut roi entre tous les rois de la gens brittannique. » (§ 48) La
version irlandaise (Lebor Bretnach), probablement plus ancienne et à situer parmi les
sources de Nennius, porte une formule légèrement différente de § 32,
«…
o niurt Ambrois ri Frangc ocus Bretan Letha», soit «… par la force d’Ambrosius roi des Francs et des Bretons de Letau.»
Il
faut se souvenir que Letau ou Letauia est
l’appellation brittonique de notre région à une époque où Britannia
s’appliquait à la seule Bretagne insulaire. On a donc là une
indication très intéressante sur le fait qu’Ambrosius régnait sur
un domaine situé de part et d’autre de
La forme "roi entre tous les rois" est bien la transposition directe de
"Riothimus".
·
Les Trioedd Ynys Prydein gallois dont le fond historique n’est plus
contesté même s’ils demandent une relecture croisée avec d’autres
sources. On retrouve l’opposition entre Vortigern (Gwrtheyrn
= Guorthigirnus) l’allié
des Saxons contre Romains, Pictes et Scotts et les tenants de
l’orthodoxie romaine regroupés autour de l’Eglise (dont Gildas et
les abbés) et l’élite des princes (dont Ambrosius
= Emrys) et chefs de ce qui
restait des légions. «Trois
hommes déshonorés furent dans l’île de Bretagne. …. Et le second
est Gwrtheyrn le très mince qui en premier donna de la terre aux Saxons
dans cette île et s’allia le premier avec eux et qui fit tuer
Constantin le Petit, fils de Constantin le Béni,
par la trahison et exila les
deux frères Emrys Wledic et Uthur Pendragon de cette île jusqu’en
Llydaw». (Triade 51) «Et
de prendre la couronne et la royauté par la ruse en sa propriété. Et
à la fin, Uthur et Emrys brûlèrent Gwrtheyrn dans le château de
Gwerthrynyavn près de la rive Wye …»
Ces récits nous apportent la confirmation d’un scénario
global où Ambrosius a d’abord le
dessous face à Vortigern et aux Saxons (~460 ap. JC), ce qui entraîne
son exil vers
Une autre information nous est apportée par ces textes. On
apprend qu’Ambrosius Aurélianus est le frère d’Uthur Penndragon.
Or on entre ici sur un terrain piégé car Uthur est selon la tradition
le père d’Arthur. Ce dernier, dont il n’est pas question ici de
nier une base historique certaine, eut peut-être pour prototype le
personnage d’Artorius qui (bien qu’ignoré par Gildas) aurait succéder
à Ambrosius dans la lutte contre l’envahisseur saxon. Mais là,
attention, parce que cette tradition reprise par Geoffroy de Monmouth et
toute la littérature du cycle arthurien passe insensiblement de
l’histoire au mythe et on n’est plus sûr de rien. *
2) Et on retrouve ici la
seconde des raisons qui font que le personnage d’Ambrosius ait en
partie disparu de la mémoire collective. L’amplification énorme du
personnage d’Arthur et des récits du cycle arthurien, ainsi que le
"succès médiatique" de toute cette littérature médiévale
ont rejeté dans l’ombre la personne d’Ambrosius Aurélianus
autrement plus intéressante pour l’Histoire.
Pourtant la mémoire de ce personnage a perduré suffisamment
pour que dans une généalogie figurant en tête du Cartulaire de
Quimperlé, on voit apparaître un Ambros
[Fleuriot (5) p. 172], fruit probable des spéculations érudites
d’un moine compilateur du début du XIIe siècle. La mémoire
a du mal à mourir.
Pour finir, attirons l’attention sur un point annexe. Une
tradition, qui apparaît bien établie en Cornouaille et particulièrement
à Quimperlé, veut assimiler Vortigern, l’opposant d’Ambrosius
Aurelianus, ayant migré après repentir de Britannia
en Letauia (de
On comprend qu’une telle tentation d’assimilation ait pu être
grande. Les deux anthro-ponymes sont construits sur les deux mêmes
racines : UUR = GUR
= GWR = UUOR = VOR qui a pour
sens Homme et TIERN = THIERN
= TIGERN = THEYRN qu’on
retrouve dans machtiern et qui
signifie Chef. Il peut s’agir à la limite d’une des
nombreuses homonymies que nous propose l’histoire, mais aller plus
loin est risqué. D’autant que pour compliquer encore plus la
situation la généalogie de Gurthiern proposée dans |
Bibliographie |