Voir la suite de cet article: Un vrai faux ballon monté
(Les commentaires, informations, remarques ou demandes de rectification doivent être adressés à la SAHPL dont le mail figure sur la page d'accueil )
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Bulletin n°37 - UN FAUX BALLON MONTE ! Faux vrai , vrai faux , vrai de vrai, faux de chez faux? |
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Dans le bulletin n°37, nous avons publié un ensemble de trois articles concernant les ballons montés utilisés lors de la Guerre de 1870 et plus particulièrement au cours du Siège de Paris (Septembre 1870 - Février 1871) pour transmettre le courrier officiel et les lettres des Parisiens, lettres qui ont pris par métonymie le nom de leur moyen de transport: "les ballons montés" et sont aujourd'hui très prisées des philatélistes (les cotes allant de 150 à 22000€ !) Le premier des trois articles présente un "ballon monté" qui nous a été apporté par un sociétaire qui le tenait lui même d'un ami qui acceptait fort aimablement de nous le confier pour "étude". Nous avons fait traduire le texte par M. Guermeur, ancien Professeur de Langues au Lycée Dupuy de Lôme de Lorient et dans le deuxième article je me suis chargé de mener une petite "enquête" à partir des informations figurant dans l'adresse, les cachets et les oblitérations figurant sur le document. Enquête qui m'a conduit à découvrir la lettre de Godard à Dupuy de Lôme. Le 4 janvier dernier, M. Jean-François Brun, expert philatéliste, nous adresse le mail suivant accompagné de la photo d'un "ballon monté". |
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Document J-F Brun |
"Bonjour Par le plus grand des hasards, je suis tombé sur votre site et j'ai lu avec intérêt l'article concernant un ballon monté envoyé à Madame Simpson à Londres. Il s'agit d'une falsification, réalisée de façon quasi industrielle pour les collectionneurs et bien connue des philatélistes. Il va sans dire que le texte est complètement fantaisiste. Tout est faux: timbres oblitérations, marques postales. Les textes sont imprimés en lithographie et non manuscrits. PS:J'ai reproduit cette lettre, ou une de ses sœurs, dans mon ouvrage "Faux et truqués" en 1980 (p 89 fig 198) Bien sincèrement" Jean-François Brun
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Nous
avons alors comparé ce document avec les photos du "ballon
monté" que nous possédions et qui sont présentées ci-dessous.
Et là, il semble bien que nous soyons en présence d'un document exactement identique au nôtre à quelques nuances près ... |
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Ci-dessus le document qui nous a été confié "pour étude" ... | |
Le 6 janvier je réponds à M. Brun: "Bonjour, J'ai pris connaissance de votre mail concernant la supercherie des faux ballons montés, et je vous remercie pour cette information surprenante, c'est le moins que je puisse dire. Nous allons devoir publier une mise au point sur le site et dans notre prochain bulletin, aussi vous serais-je reconnaissant de bien vouloir me donner quelques informations supplémentaires: Comment cette fraude a-t-elle été découverte, par qui et quelle est son "ampleur"? Y a-t-il beaucoup de collectionneurs qui se soient laissé prendre? Depuis quand dure-t-elle? Cette lettre à "Mrs Simpson" est-elle "réellement" et sûrement un faux total ou s'agit-il d'une copie de texte(s) authentique(s)? Comment peut-on parvenir à ce degré d'imitation, notamment pour le papier qui semble vraiment authentique: usure, pliures, transparence etc ...? Beaucoup de ballons montés sont en vente sur internet. Comment être certain qu'il s'agit d'authentiques correspondances? Votre livre est-il toujours disponible? Je vais installer une page de mise en garde sur le site. Me permettez-vous de publier votre mail sur cette page? En attendant des réponses même succinctes à ces quelques questions, je vous adresse mes remerciements et mes cordiales salutations." Yves Cocoual |
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Quelques jours plus tard, réponse de M. Brun:
"Bonjour Je ne peux, malheureusement vous donner beaucoup de détails, cette fabrication est connue des philatélistes depuis des lustres. Un de mes amis, américain, spécialiste de la guerre de 1870, décédé, a écrit un article dans une revue américaine... que je n'ai pas retrouvée. Il n'est nul besoin d'acquérir mon ouvrage "Faux et Truqués" qui s'adresse aux philatélistes, la reproduction de ce ballon n'y est qu'à titre d'exemple. En pièce jointe la page concernant cette pièce. Comme information principale, cette fabrication est imprimée en lithographie - les timbres authentiques sensés l'affranchir ont été imprimés en typographie. De même, les diverses marques postales sont imprimées, toujours en lithographie, et non frappées par des cachets. En ce qui concerne le texte, je ne sais s'il a été "imaginé" ou copié d'après une correspondance authentique. Sur Internet, il y a souvent le pire, parfois, mais très rarement, le meilleur. Il est quasi impossible pour un non spécialiste de trier le bon grain de l'ivraie. Je regrette de ne pouvoir être plus précis. Bien sincèrement." Jean-François B. |
Document extrait du livre de J-F B. |
A suivre ...Le jeu des sept erreurs (ou plus?) | |
La juxtaposition des deux documents met en évidence leurs ressemblances et leurs différences, et la superposition des deux images à l'aide d'un petit logiciel de traitement d'images (Photofiltre, par exemple), permet de faire des constatations plus précises: 1- Le bloc formé par l'inscription imprimée "PAR BALLON MONTE" et le timbre à date (cachet) est exactement superposable d'un document à l'autre, défauts et manques d'encre compris. 2- Les étoiles chiffrées 16 sont dans la même position sur les deux lettres. 3- Les deux adresses sont strictement identiques et parfaitement superposables, ce qui paraît impossible pour des documents manuscrits. 4- Les traces du cachet d'arrivée à Londres sont les mêmes, mais légèrement plus inclinées à droite Pourtant, les différences sont notables: Sur le document de droite: 1- La distance entre le bord droit du timbre à date et l'étoile est légèrement supérieure 2- La boucle du S de Simpson pénètre légèrement dans la couronne , l'adresse étant légèrement plus haute LES TIMBRES 1- Les timbres ne sont pas exactement dans la même position, ce qui confirme qu'il s'agit de deux documents différents. De plus, en examinant attentivement les étoiles chiffrées, on remarque qu'il y en a deux sur chacun des documents, assez sommairement rapprochées pour donner l'illusion d'une seule étoile. Nous le vérifieront plus bas. Il s'agit sans doute dans les deux cas de timbres récupérés sur des enveloppes ordinaires et collés ensuite sur un "ballon monté" ayant perdu ses timbres d'origine, comme le signale J-F Brun (voir ci-dessous). Dans le document de gauche, le timbre bleu est collé par-dessus les marques de l'étoile sur le papier de la lettre et la partie supérieure du 1 est désaxée.
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Doc J-F B. |
Doc SAHPL |
Dessin de l'étoile chiffrée 16 à partir du timbre ci-contre. Il s'agit d'une étoile à 6 branches facile à construire géométriquement:; Les six pointes sont sur un même cercle et sont séparées par la valeur du rayon du cercle. |
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Document J-F B |
Document SAHPL |
Pour les deux photos ci-dessus, il a été réalisé à partir du dessin de l'étoile 16 une image transparente ne conservant que les points noirs et le chiffre 16 qui ont été ensuite colorés en vert ou en rouge . Ces étoiles transparentes ont été positionnées sur les oblitérations en essayant de faire en sorte qu'il y ait un maximum de points noirs correspondants aux points colorés. Il apparaît clairement qu'il y a deux oblitérations avec le chiffre 16 sur chacune des photos. Il devrait donc y avoir deux fois le chiffre seize sur chaque lettre: ce n'est pas le cas. Ces étoiles transparentes montrant un peu de mauvaise volonté lorsqu'il s'agit de rotations paramétrées, une autre technique est proposée. |
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Pour le document ci-contre, l'hypothèse suivante a été formulée: puisqu'il n'y a qu'une seule fois le chiffre 16, c'est qu'il n'y a qu'une étoile dont les 6 pointes doivent être sur un même cercle. 5 sont facilement repérables: A, B, C, I et J Si cela est vrai, les médiatrices des segments IJ et AB doivent concourir au centre d'un cercle sur lequel se trouveront les points A B C I et J. Cependant, leur point de concourt, Z, n'est pas le centre de l'étoile comme le montre le cercle pointillé vert de centre Z passant par les points I et J mais sur lequel ne figurent pas les points ABC. Par contre, les segments IJ et AB permettent de déterminer deux cercles différents : le premier pointillé noir de centre H avec les points ABCDEF comme pointes de l'étoile et le second pointillé rouge de centre K avec les points IJLMNO comme pointes de l'étoile et ainsi de tracer deux étoiles assez nettement décalées. Il devrait donc vraiment y avoir deux chiffres 16. |
Document SAHPL |
Au cas où les timbres seraient authentiques, il ne pourrait donc s'agir que de timbres récupérés (cf supra) et recollés en essayant de les faire correspondre autant que possible aux points de l'étoile construite à partir des points A et B. Pourquoi ceux-là? parce que ce sont les deux seules pointes qui figurent sur le papier de la lettre servant ainsi de point de repère pour placer les timbres "exogènes"!!! Il y a donc au moins deux oblitérations: une pour le timbre bistre, une autre pour le timbre bleu. On peut même penser qu'il y en a trois: la première correspondant aux pointes A et B qui sert de repère et permet de placer avec précision la deuxième étoile, la bleue puis celle du timbre bistre, orange sur le document ci-dessus que l'on fait correspondre du mieux possible avec la bleue quitte à arranger un peu les pointes de l'étoile . |
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"Jean-François BRUN dans son ouvrage « FAUX ET TRUQUES » (1980, Editions Loisirs et Culture) rappelle en pages 84-85 que « Les Ballons Montés ont d'ailleurs tenté considérablement les truqueurs. Bien des plis ont perdu leur affranchissement, enlevé par des mains ignorantes. Les lettres ainsi mutilées deviennent un support de choix. Les timbres détachés oblitérés de Paris étant forts communs, il est très aisé de remplacer ceux disparus par d'autres n'ayant jamais emprunté la voie des airs. Les plis intacts sont souvent facilement truqués. On peut remplacer un 20 c Lauré par un 20c Empire non dentelé et décupler ainsi la valeur d'une lettre dont le cachet à date de départ et celui d'arrivée sont authentiques. La plus grande méfiance s'impose. » Il cite par ailleurs, documents à l'appui, un faussaire du nom de RESSEJAC dont la spécialité consistait à créer des faux plis à destination de la Russie." http://www.coppoweb.com/ballons/fr.ball_aff.php Ce que l'on voit par transparence sur les deux documents confirme qu'il s'agit bien du même texte au verso. Il est encore surprenant que l'encre de la lettre ait en quelque sorte "traversé" le papier alors que l'adresse, manuscrite elle aussi et bien encrée ne soit pas du tout visible au verso. Il aurait été intéressant de pouvoir vérifier le caractère manuscrit du document et la qualité du papier qui, à l'époque, nous avait paru vraiment ancien. On peut penser que le texte et l'adresse sont authentiques mais que les documents présentés ici font partie des nombreuses reproductions fabriquées par des gens peu scrupuleux attirés par la cote élevée de ce type de correspondance. En conclusion, provisoire bien sûr, nous pouvons penser qu'il s'agit de deux faux "ballons montés", l'un comme l'autre présentant des indices nets de falsification. Reste la technique de reproduction du document manuscrit. S'il s'agit bien comme le propose J-F Brun de lithographie, alors les "faux" deviennent de vraies oeuvres d'art, oeuvres de faussaires certes, mais de vrais faux ...pas rares (quantité industrielle ?) mais fort chers ... Comment expliquer alors le silence relatif à propos de ces faux ballons montés? En effet, sur internet, un seul site évoque précisément l'existence de faux en faisant référence à l'ouvrage de J-F Brun cité plus haut. Les philatélistes amateurs et professionnels qui se sont fait "rouler" par ces faux ne sont sans doute pas pressés de le faire savoir afin de pouvoir s'en débarrasser en les revendant? Epilogue (provisoire également) Le "ballon monté" qui a été proposé à la SAHPL est sans doute un faux et le propriétaire de l'époque en était conscient mais pensait qu'il pouvait s'agir d'un "faux pour servir", destiné selon certains à tromper l'ennemi en diffusant de fausses informations. On peut tout de même s'interroger sur les informations données par le texte qui auraient pu tromper le Prussien ...A moins que les remarques concernant les Bretons n'eussent été de nature à terroriser l'ennemi (qui s'est effectivement bien gardé, - cette fois là - de venir jusqu'en Bretagne!!!) ... "Les mobiles et les volontaires sont nos soldats les plus courageux. Ceux de la Bretagne se sont fait là une réputation. Avant le combat ils s'agenouillent et leur prêtre, qui est venu de chez eux, leur donne la bénédiction après une courte prière, puis ils vont de l'avant, tel un vrai mur d'acier, ne cédant jamais un pouce de terrain, quelles que soient les conditions du combat. Ces bons Bretons sont la bravoure personnifiée, et bien qu'ils aient la tête dure comme soldats de bivouac, ce sont de magnifiques gaillards pour faire la guérilla et régler leur compte aux Uhlans." (texte traduit) Toujours est-il que cette correspondance pour le moins douteuse a été revendue par son ancien propriétaire et que l'acquéreur aurait fait authentifier le document par un spécialiste avant de l'acheter... Et pour répondre à la question posée dans le titre: voilà un document dont le texte et l'adresse me sembleraient authentiques, mais ils ont été reproduits et les timbres à date, cachets d'arrivée, étoiles numérotées 16 et timbres sont "trafiqués" et donc, selon moi, il s'agirait d' un faux de chez faux! Yves Cocoual - SAHPL - Lorient |
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