Le sort des prisonniers
Nous voilà donc quittant le Gohlen où les Allemands
qui se dirigeaient vers Lorient nous ont rencontrés. Ils sont très
inquiets ; leur propagande leur a tant décrit les
"terroristes" comme des bandits sans honneur, nous avons si
mauvaise apparence dans nos vêtements parfois en guenilles, avec des
grenades plein la ceinture, qu’ils se demandent quel sort les attend. À
vrai dire, nous nous demandons aussi qu’en faire ; ils sont une
douzaine, autant que notre patrouille ! Nos conditions de lutte,
notre dépendance des braves cultivateurs qui nous aident à nous nourrir
au péril de leurs vies, nos missions de guerre, ne nous permettent ni de
les nourrir ni de rester les garder. En arrivant à Guiscriff, nous les
enfermons dans la salle de danse de Bourgeal et nous demandons conseil à
nos chefs. Les blessés sont soignés.
Dès que la réponse arrive nous leur expliquons la
situation : «Nous ne pouvons pas vous nourrir,
mais si vous travaillez dans les fermes vous serez bien traités et
nourris». Aussitôt, le plus gradé accepte, le vieux
Feldwebel qui a déjà connu la guerre de-1914-1918 ; les autres peu
à peu font de même … sauf un Sergent, assez distant avec ses
compagnons, qui refuse et invoque les lois de la Guerre pour les
sous-officiers «qu’on ne peut obliger à travailler».
Entendre parler des lois de la Guerre alors que l’ennemi les bafouait
depuis des années déclenche la colère ; l’un d’entre nous s’énerve,
bouscule le Sergent et l’enferme dans la "soue à cochons"
(enclos couvert) dont l’animal a été tué la veille, en lui
disant : «Pas travailler, pas nourri».
Mon père qui a rejoint notre groupe est chargé de
conduire et de ramener le soir au campement les prisonniers répartis dans
les fermes. Les fermiers sont satisfaits de cette main d’œuvre qui les
soulage en pleine moisson ; dans la même saison en Allemagne, les
cultivateurs allemands nourrissaient les prisonniers français qui
travaillaient pour eux.
Le 3ème jour de sa captivité, le Sergent
avait enlevé tous ses galons, s’étant ainsi volontairement dégradé,
alors en accord avec ses principes il acceptait de travailler. Il alla
aussitôt se plonger, tout nu, dans le lavoir et lava ses vêtements
malgré les protestations des villageoises, mais personne n’intervint.
Ses camarades ne l’aimaient pas, nous n’avons pas su pourquoi ?
Peu après, avec les prisonniers, nous avons dû
exécuter une des pires corvées qui soient ; dégager une fosse que
des fermiers de Lanvénégen avaient repérée à Rozengat, au-delà de
Loge Coucou. Nous avons retiré onze corps de civils fusillés par les
soldats du Faouët, les mains liées par du fil de fer. Les familles de
Spézet sont venues reconnaître les leurs, exécutés sans
jugement ; une mère a alors retrouvé son fils et sa belle-fille
ainsi ligotés ensemble … Le Sergent allemand sortit de la fosse … et
pleura. Nos prisonniers ont dû comprendre bien des choses et sont restés
silencieux plusieurs jours ; le Feldwebel était le plus chaleureux d’entre
eux. Après cette dure épreuve, chacun a repris ses activités :
nous les civils nos actions militaires, les soldats allemands leurs
travaux pacifiques.
|
Photo 2 : Le Sergent allemand dans la fosse
Lors d’une inspection, mon père eut des reproches car
un prisonnier buvait du "lagout chistr", l’eau de vie de
cidre, au casse-croûte de 16 heures en sa compagnie et celle du cultivateur
son patron ; les consignes du Commandant étaient formelles : «Pas
d’alcool aux prisonniers». Alors le cultivateur
expliqua : «Ils travaillent comme nous, ils mangent
comme nous ; à quatre heures on boit un peu de "goutte", on
ne peut pas les laisser sans rien … juste sur l’envie !».
Le responsable n’insista pas.
Mais un matin, début Août, un camion des alliés arrive
avec mission de récupérer les prisonniers et de les conduire dans un camp
de la région de Guingamp. Ils ne veulent rien savoir, refusent de monter,
prétendent rester dans les fermes en attendant la Paix : «On
est bien ici, Krieg fertig ! ». En dépit de leurs
protestations, ils furent quand même embarqués. Mon oncle et le Feldwebel
avaient combattu à Verdun en 1914-1918 et en avaient souvent parlé ;
en se quittant, ils se serrèrent la main.
|
Photo 3 : L’alignement des cercueils
|
Le destin des F.F.I.
Après une période difficile et éprouvante en
Septembre, à St-Hélène et Nostang en bordure de la "Poche de
Lorient" dans laquelle s’étaient enfermées les forces allemandes,
pourvues d’une artillerie considérable alors que nous n’en avions pas
du tout au début, j’ai fait une guerre de position. Cette fois j’avais
pour Chef un autre instituteur, Guihur, un entraîneur !
La paix revenue, des F.F.I. sont restés dans l’Armée
et plusieurs sont devenus Colonels et quelques-uns Généraux, mais la
plupart sont revenus à la vie civile, estimant le devoir accompli avec la
conquête de la Liberté. Les instituteurs ont repris leurs classes. J’ai
pu poursuivre des études professionnelles ; des stages renouvelés
à Paris m’ont permis de devenir peintre-décorateur, un beau
métier ! Marc Guillaume est devenu le Conseiller du Travail estimé
de l’Arsenal de Lorient, alors que mon père continuait sa carrière à
l’Arsenal de Bizerte en Tunisie. Notre Commandant Le Coutaller, après
avoir été Maire de Lorient, a été élu Député socialiste du Morbihan
en 1946, puis nommé Conseiller de l’Union Française et enfin Sous-secrétaire
d’Etat aux Anciens Combattants en 1956.
Je me suis marié en 1950. J’ai très peu parlé de
tous ces évènements avec mes enfants, beaucoup plus avec mes
petits-enfants. J’affirme vrai tout ce que j’ai raconté et qui peut
être confirmé par Marc Guillaume, mon frère d’armes et de misère.
Signé à Lorient, le 25 Juin 2002.
Recueilli par l’auteur du présent article.
|
Tableau dressé par la Mairie de Lanvénégen
Fosse de «Rozengat»
Pierre Marie CLECH, Spézet - Michel Louis Marie CLECH,
Spézet
François Marie CLECH, Spézet - Jean Marie CLECH, Spézet
Jacques Joseph Marie GUEGUEN, Spézet - Jean Pierre
GUILLOU, Spézet
Louis Yves-Marie LOLLIER, Spézet - Yves Marie BLOAS,
Spézet
Jean Joseph JAOUEN, Spézet - Jean Marie LE ROUX, Spézet
Jean Louis LE GOFF, Saint-Goazec
Fosse de «Rosqueo»
François Louis BERNARD, Gourin - Félix Marie DAOUPHARS,
Gourin
Samuel Yves LESSARD, Gourin - Claude CHALME, Inguiniel
François Pierre Marie LE PEN, Inguiniel - Marie Louis
JAFFRE, Inguiniel
Pierre Marie ROBIC, Inguiniel - Alban Yves ROUSSEAU,
Lanvaudan
Louis Joseph DEHENAUW, Blankenberge (B) - Raymond
MARMENOUT, Blankenberge (B)
Georges Emile SANDEZE, Blankenberge (B) - Camille Joseph
de CORTE, Blankenberge (B)
René François MESTNAGH, Blankenberge (B)
Fosse de «Boutel»
Morts au combat
Jean LE BLOAS, Lanvenegen - Robert KESSLER Charenton
Raymond DENISE, Bretigny/Orge
Cliquer sur les photos ci-dessous pour les agrandir |
Photo 1
|
Photo 2 |
Photo 3 |
|