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LES PARCS A GIBIER

DANS LA FRANCE DU NORD ET DE L’OUEST

(XIe - XVe siècles)

 

Marie CASSET

Université de Bretagne-Sud (Lorient)

 

 

Les espaces aménagés autour des manoirs et des châteaux sont abondamment mentionnés par des sources écrites variées autant médiévales que modernes (coutumes, actes de la pratique, aveux et dénombrements, terriers, actes de justice) qui énumèrent vergers, prés, jardins, garennes, étangs, viviers, parcs et bois. Les historiens des institutions ont bien démontré qu’il s’agissait d’une part du domaine indissociable du bâti résidentiel et transmissible avec celui-ci. On s’est peu interrogé sur les réalités matérielles de ces dispositifs (clôtures, superficies, bâti, rapports topographiques avec le séjour noble) auxquels on accorde une vocation économique d’approvisionnement du séjour seigneurial. Parmi les éléments cités plus haut, les parcs ont été négligés et rapidement qualifiés de « parcs de chasse », dédiés au passe-temps favori de la noblesse. Depuis quelques années un certain nombre de travaux menés par des historiens-archéologues permettent de développer des problématiques autrement plus riches que celles concernant les seules pratiques cynégétiques. Les études actuelles sur les parcs des ducs de Bourgogne (Bourgogne, Flandre) et l’inventaire en cours sur les parcs des ducs de Bretagne et les parcs normands croisent les sources et repèrent sur le terrain des vestiges imposants et inattendus : clôtures en Bourgogne, parcs quasiment intacts en Bourgogne (Aisey-sur-Seine), en Normandie (Sainte-Pience 50, Sainte-Vaubourg 76, Mainneville 27) et à un moindre degré en Bretagne (Lanvaux 56, Carnoët 29, Elven 56).

Tels qu’ils apparaissent dans la documentation dès le XIe siècle en Normandie, au XIIIe siècle en Bretagne, en Champagne, dans le domaine royal (Vincennes) et au XIVe siècle en Bourgogne, les parcs semblent bien être des héritiers de l’institution carolingienne connue sous le nom de forestae ou breuils qui sont des espaces boisés et clos attenants aux grands palais favoris (Aix-la-Chapelle, Francfort, Ratisbonne) où l’empereur se réserve le droit de chasse et d’élevage du grand gibier. Au XIe siècle, l’institution est devenue la prérogative de ducs et comtes qui créent ou autorisent laïcs et grands ecclésiastiques (évêques en Normandie) sous la stricte surveillance d’arpenteurs la création de parcs désignés désormais par des vocables variés : défens, parcs, breuils, plessis. A la différence des forêts, closes elles aussi, les parcs sont exclus de toute pratique communautaire et de tout contrôle autre que celui du tenant (« sans tiers ni dangier » en Normandie »).

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Structures matérielles

Le parc est par définition un espace clos bien délimité par des clôtures dont on perçoit des variables suivant les périodes et les ressources régionales. Les clôtures les plus anciennes en Normandie sont constituées de talus de terre ou de haies larges et denses (Valmont 76), doublés de fossés intérieurs. A partir du XIIIe siècle, on construit des murs de pierre souvent très épais (4 mètres en Bourgogne) qui subsistent pour partie encore aujourd’hui. La construction et l’entretien sont des gouffres financiers pour les tenants qui peuvent en charger les paysans riverains (Bretagne).

Les superficies ainsi encloses sont extrêmement hétérogènes, allant pour les plus petits d’environ 20 hectares (Bourgogne, Vannes) aux plus vastes couvrant 2300 hectares (Rhuys) et jusqu’à 5300 hectares (Châteaulin) en Bretagne. Ils sont généralement elliptiques ou de plan quadrangulaire aux angles arrondis et d’un seul tenant, mais certains sont constitués de deux enclos attenants qualifiés respectivement de petit parc et de grand parc (Rhuys, Mainneville 27, Alençon 61, Aisey-sur-Seine et Salmaise 21).

Les sources écrites mentionnent, à l’intérieur des parcs, des structures bâties qui semblent destinées pour certaines aux animaux et pour d’autres à ceux qui fréquentent le parc (personnel de gestion, veneurs) : « maisons », « loges », puits, fontaines. L’absence de travaux archéologiques sous couvert forestier n’a jamais permis d’identifier ni de localiser ces structures et l’on connaît très mal les enclos édifiés à l’intérieur des parcs. Les recherches de F. Duceppe-Lamarre dans le parc de Hesdin vont contribuer à combler ces lacunes.

Une des caractéristiques les plus remarquables de ces parcs est leur intimité avec tous les types d’habitats nobles : urbains (Vannes, Alençon, Rouen, Coutances, Lisieux 14) ou ruraux (Suscinio, Bourgogne), séjours ou forteresses majeurs (Gravenchon 76, Suscinio, Gaillon 27, Elven 56) ou manoirs de moindre niveau dans la hiérarchie féodale (Sainte-Pience 50, Sainte-Vaubourg 76). Dans la plupart des cas, le château ou le manoir sont implantés à la limite du parc sans solution de continuité entre les deux ; exceptionnellement le château est inséré au cœur du parc (Elven). Quelques sources écrites ne permettent que rarement d’éclairer le contexte qui a présidé à cette relation topographique et d’émettre l’hypothèse d’un aménagement conjoint du parc et de la construction du château ou du manoir (Saint-Ebremond 50, Sainte-Pience, Suscinio, Vannes, Carnoët).

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Peuplement végétal et animal

Le couvert végétal des parcs est nécessairement hétérogène et adapté aux animaux qu’il abrite. La plupart ont été délimités dans un massif forestier préexistant et dans des conditions topographiques favorables (versant et fond de vallée). On connaît cependant des créations ex nihilo par des plantation de chênes et de hêtres comme au XIe à Saint-Ebremond. Des espaces en herbe y sont clairement attestés par les sources. Dans tous les parcs, rivières et ruisseaux ont été aménagés pour créer des étangs et des viviers à l’intérieur ou aux franges.

Le peuplement animal y est extrêmement contrôlé et varié. Les grands animaux sauvages sont généralement représentés (cerfs, sangliers, chevreuils) conjointement à des animaux qu’on introduit à grands frais (daims en Bourgogne). On élève des poissons dans les étangs (carpes, anguilles).

Des animaux semi-domestiqués (lapins) et des animaux domestiques (porcs, chevaux) séjournent également dans les parcs.

La gestion faunique implique des déplacements d’un parc à l’autre en vue de repeuplements (parcs bourguignons) et des apports alimentaires en provenance de domaines extérieurs, pour les animaux.

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Fonctions et usages

 

Au-delà des images stéréotypées il faut s’interroger sérieusement sur la pratique de la chasse dans les parcs. En Bourgogne, où les sources sont les plus abondantes, les comptes de dépenses ne mentionnent aucune chasse ducale. En outre certains parcs semblent trop exigus (20-50 ha.) ou trop accidentés pour permettre à une chasse à courre de se déployer. Seuls certains parcs très vastes, en Bretagne par exemple, étaient aptes à ces activités. En revanche, il est indiscutable que les veneurs y pratiquaient des prises nécessaires à la bonne gestion de la faune dans un espace clos et à l’approvisionnement de la table seigneuriale voire à la vente.

Les fonctions économiques et financières des parcs ont été sous-estimées. On y prend du bois et de la pierre pour les constructions ou l’artisanat, des animaux sont vendus. Dans les parcs ducaux en Bretagne les paysans riverains sont autorisés à y laisser paître des porcs et des chevaux contre une rémunération annuelle, avec sans doute comme objectif la reproduction du cheptel ducal.

Notons cependant que ces fournitures sont insuffisantes ; les comptes de dépenses signalent régulièrement des achats pour la famille et le personnel castral, achats de viande et de chevaux, en particulier des chevaux pour la guerre. Signalons également le faible pourcentage d’ossements de gibier mis au jour lors de fouilles de sites castraux, nettement inférieur à celui des animaux domestiques, qui soulève la question de la fréquence du gibier dans l’alimentation aristocratique et des lieux de consommation ailleurs qu’au château ou au manoir.

On doit pouvoir également envisager que les créations des XIIIe et XIVe siècles ont procédé d’une volonté délibérée de protection des massifs forestiers après des décennies de cessions de droits de pâturage et de ramassage de bois.

 

Les parcs jouent indiscutablement un rôle politique et diplomatique. Au plan local, l’ampleur de l’emprise au sol, la formidable enceinte, l’intimité avec le séjour et les perturbations imposées au réseau viaire et aux pratiques institutionnelles anciennes, pour les créations les plus tardives, attestent de la puissance du tenant. En Bretagne au XIIIe siècle, les ducs ont vigoureusement affirmé leur pouvoir en créant des parcs dans des régions excentrées du duché et nouvellement contrôlées par le pouvoir ducal (Cornouaille, Léon) ou dans des grandes seigneuries passées entre leurs mains (Lanvaux, Pontcallec). En Bourgogne, les parcs se concentrent autour de la capitale (Dijon) et le long des routes qui conduisent vers Paris et C. Beck y voit une manifestation symbolique de la densité des relations entre la Bourgogne et la France. L’autorisation de créer un parc consacre la faveur d’un grand auprès du prince, matérialise dans l’espace son nouveau statut et magnifie le manoir ou le château (parc de Mainneville à Enguerrand de Marigny en 1305).

 

Les parcs fournissent aux grands les moyens de pratiquer la générosité et les largesses qu’on attend d’eux, ils permettent le fonctionnement du système des relations basé sur le don. En Normandie, des communautés religieuses ont reçu des dîmes, du gibier, une portion de parc (Grandmontains à Rouen), voire un parc (Sainte-Vaubourg aux Templiers). On offre du gibier vivant ou mort dans le cadre de relations diplomatiques d’amitié, en échange ou en remerciement d’une intervention.

L’accumulation d’informations et l’observation des sites autorise des hypothèses sur le caractère esthétique des aménagements. Des travaux anglais ont démontré la volonté de créer aux abords de châteaux un beau paysage où s’imbriquent après de lourds travaux d’aménagement parc, jardins et plans d’eau (Bodiam Castle, Somersham). Ces observations peuvent sans doute être transposées sur le continent. A Vannes à la fin du XIVe siècle, les fenêtres hautes du nouveau château ducal de l’Hermine donnent sur le parc de la Garenne établi dans le même temps.

Au même titre que la courtine et le donjon, le parc constitue un élément visuel, un marqueur dans le paysage du pouvoir politique. Si le donjon et les murailles marquent la domination sur les hommes, le parc pourrait symboliser celle sur la nature, une nature domestiquée au service du pouvoir. Cette puissance évocatrice explique sans doute la très longue durée des installations malgré la défaveur de certains sites et les négligences dans leur entretien (Rhuys).

 

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Les parcs à gibier dans la France du Nord et de l'Ouest

Cliquer sur les images

 

Trois parcs à gibier normands

 

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BIBLIOGRAPHIE

 

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