Délibérations de la communauté 1737
Du dixième juin mil sept cents trente sept,
en l’assemblée généralle des habitans de L’orient tenue en la
maison de M. Perrault, Maire et président de la ditte assemblée présents
Mrs Demontigny, Procureur de Roy, Droneau fils Greffier, Cordé,
Gseq, Lafontaine, Barbarin, Brossière, Esnée, Droneau Père,
Villemezec, Villecadiou, Ferrand, Deffond, Fermier de la Provotais,
En la ditte assemblée a laquelle Mr De St Pierre, Ingénieur
du Roy en cette ville a esté prié de se trouver, le dit Sr
procureur du Roy a remontré que cette ville augmentant tous les
jours en habitans, il est nécessaire de leur assurer une fontaine
qui puisse en tous tems fournir a leur besoin qu’il n’y en a
point de plus a portée que celle appelée la belle fontaine dans la
paroisse de plemeur de laquelle cette ville est en possession
depuis son établissement puisque ce sont les sindics qui l’ont
fait faire aux frais de la ville mais comme cette fontaine n’est
point assé profonde que même elle est toute à découvert de façon
que tout le monde y va indifferement soit pour y puiser de l’eau
ou pour s’y baigner et y jette quantité d’ordures ce qui peut
occasionner des maladies, pour à quoy obvier et assurer quantité
d’eau suffisante a la ville, le dit sieur Procureur du Roy croit
qu’il serait à propos de faire creuser la ditte belle fontaine y
rassembler les sources qui sont a la proximité et y faire un regard
et des robinets pour le service public et prier Mondit sieur de St
Pierre, Ingénieur du Roy de se charger de l’execution de ce
projet et comme le travail a faire a cette fontaine, en empecher
l’usage pendant quelque tems.
Le dit Sieur procureur du Roy a encore
remontré que plus haut il y a une autre fontaine appelée la
fontaine des allemands qu’il serait necessaire de retablir
pour fournir aux besoins du public, qu’il y a aussi une fontaine
au faouedic qu’on peut rendre facillement utile a cette ville, sur
quoy les dits Srs ayant deliberés ils ont prié Mondit Sieur de St
Pierre present de se charger de faire raccomoder la
fontaine des allemands et ensuite celle de la belle fontaine
de la manière qu’il jugera a propos et pour subvenir a ces
depenses les dits Srs sont d’avis qu’il sera fait une queste
dans la ville et pour cet effet ont nommés les Srs Villecadiou et
Barbarin qu’ils prient de commencer dès demain pour ce qui en
proviendra estre remis es mains du sr Droneau fils pour en compter
sur les billets de payements que donnera mondit Sr de St Pierre, et
en cas que les deniers provenants de cette queste ne soient pas
suffisants il sera pris des deniers de la fabrice jusqu'à la
concurrence de la somme de deux cents livres laquelle luy sera
rendue des les premières sommes qui tomberont a la ville et
ce sans aucun interest sagissant du bien public et en payant pour le
fabrique en charge sur le receu dudit Sieur Droneau laditte somme
luy sera alloüée dans ses comptes et a l’egard de de la fontaine
du faoüedic il en sera ecrit a Mr Du faoüedic propriétaire
d’ycelle pour l’en prevenir et ont lesdits Srs signé
(suivent les signatures des membres de l’assemblée cités plus
haut)
Il ressort de ce texte que la fontaine des
Allemands n’est plus en usage en 1737, et qu’il serait nécessaire
de la faire « rétablir » voire « racommoder » en même temps
que la Belle Fontaine, et que pour subvenir aux dépenses que cela
va occasionner on fera une "queste" qui sera éventuellement
complétée par un prélèvement sur les « deniers de la fabrice ».
Mais pourquoi est-elle nommée fontaine des
Allemands ?
Il faut en fait remonter vingt ans avant cette délibération.
Le financier écossais John Law, fondateur de la Compagnie du
Mississipi veut réformer l’exploitation de la Louisiane où tout
va mal depuis le décès de Louis XIV en 1715. Le Régent, le
duc d'Orléans, va essayer d’organiser une émigration vers la
province américaine afin de la repeupler et d’en dynamiser le
commerce. Les méthodes de recrutement confinent le plus souvent à
la rafle dans les rues de Paris mais aussi en province et, en deux
ans, « John Law réussit à faire passer en Louisiane plus de
7000 personnes, dont 5000 enlevés presque de force: des forçats
rescapés des galères, des vagabonds ramassés dans les rues de
Paris, des «filles à cassette» (appelées «filles du Roy» au
Canada), des femmes dites «de mauvaise vie» (prostituées et
condamnées de droit commun), etc… ».
Les émeutes devenant de plus en plus fréquentes
face aux exactions des «recruteurs», le régent met fin à ces
pratiques et c’est alors que John Law a une nouvelle bonne idée,
et sa compagnie se lance dans une véritable campagne publicitaire
pour séduire d’éventuels candidats à l’émigration. Cette «
propagande » qui présente la Louisiane comme un lieu paradisiaque
aura surtout du succès auprès des Allemands (en Alsace, dans le
Wurtemberg, le Palatinat, la Franconie, le Brandebourg, la Bavière,
etc) et, en 1721, ce sont près de 4000 Allemands qui auront été
recrutés et aussitôt transférés à Lorient où les attendent de
beaux navires en partance pour l’aventure de la colonisation.
Malheureusement, pour une grande partie d’entre
eux, l’aventure va s’arrêter là : alors qu’ils attendent le
départ « sous des tentes dans des camps de fortune organisés par
la Cie de Indes », maladies et épidémies vont en faire mourir
plus de mille (nombre très exagéré selon certaines sources) qui
pour beaucoup étaient maintenus dans la rade à bord de bateaux
afin d'éviter la contagion, et qui seront enterrés à Port-Louis
ou à Lorient; d’autres s’enfuiront et finalement un tiers
(1600) seulement de ces Allemands quittera le port de Lorient.
Parmi ceux-ci, beaucoup seront décimés en mer par le scorbut
notamment, quelques autres attaqués par des pirates non loin de
Saint-Domingue ne verront jamais la côte. A l’arrivée, les
survivants mourront en grand nombre sur le rivage et finalement, à
peine trois cents d’entre eux (moins de cent selon certains)
prendront le chemin de l'Arkansas, propriété de John Law encore
pour quelques mois.
Organisés et travailleurs, tous ou presque issus
de milieux d’artisans, ils feront souche, prospèreront et
dix ans après leur arrivée en 1722, « ces colons de « la Côte
des Allemands » installés à vingt-cinq milles au nord-ouest de la
Nouvelle-Orléans […] alimentaient presqu’entièrement la
capitale ! » Certains d’entre eux francisèrent leur nom
quand cela n'avait pas été fait parfois au moment de la signature
de leur engagement ou sur les rôles d'inscription des passagers à
bord des vaisseaux. C'est ainsi que l'on trouve un "Jean
Chemit" (Schmidt?) enterré à Lorient le 4 octobre 1720.
Cette courte présentation établie à partir de
documents glanés sur le web, et que nous allons compléter au fur
et à mesure de nos découvertes(1), permet donc de comprendre
l’origine du nom de la fontaine des Allemands : les camps de
fortune de la Compagnie des Indes, désignés dans de nombreux actes
par l'expression "les tentes de la belle fontaine",
devaient être installés a proximité de ce second point d’eau
peut-être réservé aux Allemands en partance pour la Louisiane !
Reste maintenant à trouver son emplacement exact
… plus haut que la Belle-Fontaine. On y est presque ...
Le plan ci-dessous, daté de 1764, indique l'emplacement des fontaines de la ville: il correspond à celui de la Belle-Fontaine et le pluriel confirme qu'il y en a bien au moins deux.
Un autre plan, antérieur au précédent de quelques années (1750) propose en ce même endroit, à peu de distance l'un de l'autre deux petits carrés qui pourraient être l'indication de fontaines. L'expression relevée dans la délibération qui situe "plus haut" la fontaine des Allemands équivaudrait alors à un "en amont" sur le très court ruisseau qui se déverse là.
Cela ne pourrait-il pas être une hypothèse valable?
2 avril 2012
Très occupés par des affaires maritimes (une pêcherie et une petite mer) pendant de longues semaines, nous avons omis de signaler un indice qui nous est parvenu par mail.
Il y a déjà quelque temps, M. Yann Keraudren nous a adressé le document pdf reproduit ci-dessous, pour nous proposer une situation possible de la Fontaine. Ce qui pourrait confirmer notre hypothèse.
Ce plan est meilleur que celui que nous avions trouvé aux archives de Lorient (2Fi115- plan de Lorient vers 1840) et confirme que non loin de la Belle fontaine existait une autre fontaine.
Mais est-elle située "plus haut" comme l'indique la délibération de la communauté de 1737? Un autre plan, (2Fi217 de 1874 consultable aux AM de Lorient) qui comporte les courbes de niveau du quartier montre bien que cette fontaine est située quelques mètres "plus haut".
S'agirait-il de la "Fontaine
des Allemands" ? Il semble bien que ce soit le seul point d'eau
d'importance dans ce secteur, mais, situé à l'angle de la rue de
Larmor et de l'avenue Jean Jaurès, il n'en reste rien aujourd'hui.
A l'extrémité sud de la rue de la Belle fontaine existait bien un
puits mais un peu loin et les gens de l'époque ne l'aurait pas
appelé fontaine.
Voici l'endroit actuel, un recoin des murs de l'école de Merville, où cette fontaine aurait pu se trouver ... La plaque de fonte dans la pelouse dissimulerait-elle une source captée? Nous essaierons de le savoir.
Google - Street view
1- Un article sur ce sujet, très complet, signé Georges Quernin a été publié dans "Les Cahiers du Pays de Ploemeur" n°3 de mai 1993 pages 12 à 18, sous le titre: "De l'Allemagne à la Louisiane ... par Ploemeur".