LE MESOLITHIQUE EN BASSE-BRETAGNE
VERS LA CONSTITUTION D'UN RESEAU D'OBSERVATION
Pierre Gouletquer
Conférence SAHPL du 4 juin 1994
Historique |
Une méthode : les principes d'une archéologie intensive |
Les résultats : les éléments d'une esquisse géographique |
A) Typologie de localisation |
B) L'échelle micro-régionale |
C) L'échelle du département |
Perspectives |
Mis à part quelques sites côtiers remarquables, le Mésolithique du Finistère est surtout connu par les sites de surface qui parsèment le territoire. La faible épaisseur des sols et la pratique des labours profonds liés à la culture intensive font que les couches archéologiques se sont trouvées écrêtées, voire entièrement détruites, et les objets ramenés en surface. Tout cela laisse peu d'espoir de rencontrer des structures en place, et si les sondages réalisés autrefois sur la commune de Plovan ont suggéré qu'il pouvait y avoir des systèmes de fosses, ils ont aussi montré qu'il faudrait mettre en oeuvre des moyens considérables pour réaliser des fouilles exhaustives permettant d'en comprendre la signification. Efforts que personne ne semble désireux d'entreprendre, sur des sites n'offrant aucune certitude de résultat, sinon celui d'enrichir des collections réalisées à partir des ramassages de surface. Par ailleurs, le Finistère bénéficie d'une longue tradition d'archéologie d'amateurs sur lesquels repose la quasi-totalité de l'information concernant les industries lithiques de surface. Longtemps les collectes se sont cantonnées sur la ligne de côte, où les coupes de falaise offrent l'occasion de moissons abondantes, au fil de l'évolution de l'érosion. On peut citer ici les importantes découvertes de J. Cavaillé, de Jean-Claude Le Goff, de Daniel Roué et de F. Talec. Cependant, dès les années soixante, parallèlement à Y. Le Moal, P.J. Berrou montrait l'intérêt qu'il y avait à prospecter à l'intérieur des terres, bientôt suivi par nos propres travaux au sein du Groupe archéologique de Plovan, et par les repérages de Jean-Claude Stourm à Plozévet et dans les environs. Cependant, ce n'est que dans les années quatre-vingt que Michel Le Goffic montrait l'existence du Mésolithique loin à l'intérieur des terres avec le site du Drennec (Commana), suivi peu de temps après par la découverte de l'abri sous-roche de Kerbizien (Huelgoat) par J.M. Moullec. Dès lors, l'idée d'un "Mésolithique côtier breton" s'effondrait, et s'il devenait évident que les mésolithiques avaient pénétré toute la péninsule, il était tout aussi certain que le silex qu'on trouvait si loin des côtes provenait de celles-ci, et qu'il avait suivi des "routes du silex" qui devaient être jalonnées de sites. C'est alors que se développa la prospection dans la région de Morlaix, avec la constitution d'un groupe informel où E. Baudouin, P. Jézéquel, J. Le Jeune et P. Léopold devaient rapidement multiplier les découvertes. L'idée de créer des Séminaires de terrain "Le Mésolithique en Basse-Bretagne" est née en 1989 lors du Congrès des Sociétés Savantes de Strasbourg. Le principe en est simple : faire se rencontrer, dans une région réputée dépourvue de sites mésolithiques, chercheurs professionnels, archéologues bénévoles et personnes désirant s'initier à la prospection de surface. Montés en collaboration avec Olivier Kayser, conservateur au Service Régional de l'Archéologie, et Michel Le Goffic, archéologue départemental, les premiers Séminaires de Terrain se sont tenus à l'ancien Centre de Classes Vertes de Brasparts. Ils ont permis de confirmer que les cartes de répartition étaient le reflet de la présence d'observateurs et non celui d'une réalité archéologique. Très vite aussi, en formant de nouveaux prospecteurs, et en multipliant les points d'observation, ils ont permis de passer de l'image très vague évoquée par l'idée d'une "route du silex", à la véritable problématique d'une esquisse géographique du Mésolithique du département. Le dernier séminaire, qui s'est déroulé au Centre Kastellig à Châteauneuf-du-Faou a confirmé l'intérêt de la formule (fig. 1).
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Une
méthode : les principes d'une archéologie intensive
La méthode est simple : elle consiste à multiplier les occasions d'observation du terrain. D'une part en organisant des sorties collectives, d'autre part en stimulant et en formant de nouveaux observateurs. Dès les années soixante-dix, la pratique de la planigraphie nous avait montré que la surexploitation des sites connus ne servait pas à grand-chose. Au bout de quelques centaines d'objets les collections de surface fournissent les grandes lignes statistiques du site (proportions de matériaux de substitution du silex, d'outils, d'entames, degré d'élaboration des chaînes opératoires et styles du débitage, présence d'armatures, etc...). Les informations supplémentaires méritent d'être recueillies au cours de planigraphies permettant une étude spatiale des caractéristiques du site. Autrement dit, au lieu de profiter de la découverte d'un site nouveau pour enrichir une collection ponctuelle, ou pour mettre en oeuvre une campagne de sondages, on utilise cette nouvelle information comme indice de l'existence d'autres sites. Cela permet de modifier les modèles de localisation, de les tester, voire d'en élaborer de nouveaux.
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Les résultats : les éléments d'une esquisse géographique
Il est évident que les résultats d'une telle pratique ne peuvent pas être de même nature que ceux d'une archéologie intensive basée sur l'étude fine de quelques sites. Ce que nous perdons en connaissances de détail que permettrait la fouille (structure des sites, stratigraphies éventuelles, étude statistique fine des artefacts, possibilité de datations absolues, etc...), nous le gagnons dans le domaine géographique en mettant en évidence des aires de distribution de tel ou tel matériau, de tel ou tel type d'outil, de tel ou tel style de débitage. Bien entendu, plus le réseau d'observation sera étendu, plus il sera dense, plus les estimations de ce genre seront précises et permettront d'approcher la complexité des structures géographiques. Dès à présent, on peut dire que les résultats se situent à plusieurs échelles spatiales. |
A) Typologie de localisation
La multiplication des observations devait assez rapidement nous conduire à reconnaître des constantes dans le choix des sites. Les ruptures de pente, lorsqu'elles présentent un léger replat et un petit vallon, indice d'une source ancienne aujourd'hui tarie constituent manifestement des lieux choisis. C'est là que nous rencontrerons les sites de quelqu'importance, voire les indications d'une occupation répétée. Le modèle est suffisamment représenté pour qu'on l'utilise avec une certaine efficacité lors de la prospection rapide d'un secteur. Il en va de même pour les terrasses des grandes rivières, ou des rives d'anciens marais devenus tourbières, tout comme il est connu que les rebords des grandes falaises du Cap Sizun, de la Presqu'île de Crozon ou du Léon ont depuis longtemps offert des collections importantes. Plus discret et encore mal vérifié, un autre modèle se fait jour, avec des sites que nous avons appelés "carponts", de ce toponyme qui indique le passage des charrettes sur de petits ruisseaux. Deux sites de ce genre correspondent à ce toponyme, et nous nous attachons à vérifier la corrélation. Sur ces sites, les installations occupent les deux rives du ruisseau, comme s'il s'agissait de maîtriser le passage à gué. La tendance à se protéger des vents dominants ou des vents du Nord est assez générale, mais les contre-exemples ne manquent pas, montrant que ce n'était sans doute pas la préoccupation majeure.
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B) L'échelle micro-régionale
En cartographiant les indices les plus ténus, représentés par quelques objets dispersés, souvent sans grande caractéristique, on voit se dessiner de véritables cheminements suivant les lignes de partage des eaux (fig. 2). Résultats de prospections aléatoires, ces indices nous ramènent bien sûr à l'idée des "routes du silex" desservant les territoires de l'intérieur, et ceci dès le Mésolithique ancien, voire le Paléolithique supérieur, esquisse des cheminements plus tardifs jalonnés par les vestiges plus tardifs d'une archéologie plus monumentale. Dans la région de Morlaix, le schéma paraît aujourd'hui bien établi de deux cheminements parallèles reliés par une "bretelle" coupant un petit ruisseau marqué par un site correspondant à un "carpont". Les sites de diverses périodes du Mésolithique et même du Néolithique répondent à ces typologies de localisation et modèles de cheminement. Ils correspondent à des facilités et à des contraintes que les variantes culturelles et même technologiques ont assez peu affectées. Ce qui explique sans doute la présence sur certains sites mésolithiques d'indices du Néolithique, voire de l'Age du Fer. Notons enfin que pour l'instant aucun site mésolithique ne paraît avoir joué de rôle défensif.
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C) L'échelle du département
A l'échelle de l'ensemble du département, on voit déjà apparaître de grands secteurs caractérisés par la présence ou l'absence de matériaux de substitution qui jouent le rôle de marqueurs. Même si les contours et la configuration fine de certains de ces secteurs demandent à être précisés, ils commencent à prendre de la consistance. Les ensembles les mieux définis peuvent être désignés par les sites d'où sont supposés provenir les matériaux de substitution (fig. 3) :
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q Le secteur de Mikaël (Plougonven), bien identifié au Mésolithique final, qui prend la moitié Est du bassin versant de la rivière de Morlaix, semble s'arrêter au Douron vers l'Est, et à la rivière Ellez au Sud. Il est caractérisé par l'utilisation d'une ultramylonite parfaitement reconnaissable, avec, outre le site de Mikaël qui offre environ 75 % des objets taillés dans ce matériaux, une zone d'utilisation primaire où il est encore bien représenté (40 ou même 50 % sur certains sites), puis une zone d'utilisation secondaire (10, 15 %). A ce secteur de Mikaël se superpose presqu'exactement l'aire de distribution de certaines calcédoines dont il semble qu'on retrouve plusieurs sites d'extraction (Lézarzou et Le Clos, Plourin-les-Morlaix ; Le Stop, Le Cloître-St-Thégonnec). Il est plus difficile de lui attribuer un cadre chronologique aussi précis que pour le groupe de Mikaël q Le secteur du Crann (Le Forest-Landerneau) - Découvert par B. Hallégouët et fouillé par J.L. Monnier, le site du Crann fournit un quartzite bien reconnaissable, mais il est probable que d'autres gisements que celui-ci ont été exploités, et ceci dès le Paléolithique supérieur. Il est souvent associé aux grandes armatures à dos courbe de type "aziloïde". Vers l'Ouest, il ne semble pas atteindre la côte du Léon, comme le confirment les observations récentes de l'Association Tumulus ; vers l'Est, il s'étend jusqu'au-delà du Queffleuth, où on le trouve en proportion assez forte sur le site du Clos (30 %). Au Sud, ce matériau franchit l'Elorn, mais il n'atteint pas la région de Brasparts, ni la boucle de l'Aulne. q Le secteur de Saint-Yvi (Tréméven) - Découvert par G. Marchand, le site de Saint-Yvi fournit une ultramylonite d'un faciès différent de celle de Mikaël. Celle-ci pose un problème délicat, car elle paraît largement représentée le long de la grande faille sud-armoricaine et pour l'instant il est encore difficile de distinguer les faciès qui ont été utilisés ; vers le Sud, l'utilisation de cette roche atteint la côte ; les prospections récentes de B. Ginet permettent d'étendre son utilisation jusqu'à Arzano et au-delà, mais vers le Nord elle n'atteint pas la boucle de l'Aulne. L'utilisation de cette roche paraît être associée au Mésolithique final. |
Ainsi, au Mésolithique final, selon un axe nord-sud joignant la Baie de Morlaix à l'embouchure de la Laïta, nous voyons qu'il y a trois secteurs : celui de Mikaël, la boucle de l'Aulne, le Secteur de Saint-Yvi, même si la séparation entre ces deux dernières zones n'est pas encore précisée. On sait aussi que vers l'Est l'utilisation de l'ultramylonite de Saint-Yvi n'atteint pas l'Odet, laissant la place pour un autre secteur non exploré qui pourrait avoir exploité les grès lustrés du Moulin-du-Pont. A l'Ouest de l'Odet, l'ensemble Pays bigouden-Cap Sizun est bien connu, dépourvu de matériaux de remplacement en proportions remarquables. Enfin, le Porzay est pour l'instant encore vierge de toute prospection au sol. On y verrait très bien une aire d'utilisation des grès lustrés de Kervouster (Guengat). Les grès lustrés nous posent un problème très particulier dans la mesure où ils sont presque toujours présents en très faible proportion sur les sites du Mésolithique final. Les échantillons pourraient correspondre à l'exploitation anecdotique de quelques pointements isolés, comme le pensent certains, mais ils pourraient aussi provenir de l'exploitation de gisements plus conséquents situés en dehors de nos zones de prospection. A l'appui de cette idée se trouve le fait que les objets que nous connaissons sont la plupart du temps très élaborés (éclats, lamelles, outils ou armatures). De la même façon, dans le secteur ouest du bassin de Morlaix, l'usage de certaines phtanites est attesté, mais leur pourcentage est trop faible pour que nous nous trouvions dans une zone d'extraction ou même d'utilisation secondaire. On serait tenté de les rattacher aux gisements de Callac (Côtes d'Armor), situés dans une zone elle aussi non prospectée.
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