LES
FORTIFICATIONS MEDIEVALES DU FINISTERE
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PATRICK
KERNEVEZ
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La section Archéologie et Préhistoire de l'Institut Culturel de
Bretagne a financé dans les années 1990 trois inventaires thématiques départementaux
sur les mottes médiévales en Bretagne[1].
On nous a confié la réalisation de l’étude concernant le Finistère :
commencé en 1990, il a été édité en 1997 et est désormais épuisé. Par
rapport aux deux études concernant l’Ille-et-Vilaine et les Côtes d’Armor,
nous avons intégré dans notre corpus les enceintes et les châteaux de pierre.
Nous présentons brièvement ici la méthode adoptée et le bilan de ces travaux
qui constituent le recensement le plus complet des fortifications médiévales
du Finistère[2].
Plusieurs inventaires archéologiques départementaux ont été publiés
à la fin du siècle dernier ou au début de celui-ci, mais ils ne concernaient
pas uniquement les mottes ou les châteaux médiévaux. Nous pouvons citer ceux
de R.-F. Le Men, E. Flagelle et P. du Chatellier[3].
Il fallut attendre 1915 avant que J.-M. Abgrall et L. Le Guennec ne rédigent
chacun un article relatif aux "mottes féodales" du Finistère[4].
Ils en recensèrent et en décrivirent alors une quarantaine. En 1967, R. Le Han
consacra son diplôme d'études supérieures d'histoire aux mottes du département:
il en dénombra plus de 120[5].
C'est en 1977, que R. Sanquer publia une synthèse sur les mottes du département[6].
Elle était accompagnée des listes des mottes dressées par Monsieur le Goaziou,
P. du Chatellier et R. Le Han. J'ai, pour ma part, étudié les ouvrages léonards
dans mon mémoire de maîtrise d'histoire, en 1988[7].
La
liste provisoire établie à partir de ces anciens inventaires a été complétée
lors du dépouillement de la bibliographie départementale, notamment celui de
la Chronique d'Archéologie Antique et Médiévale du Bulletin de la Société
Archéologique du Finistère[8].
Des données d'ordre archéologique ont été recueillies grâce à la
consultation de la Carte Archéologique au Service Régional de l’Archéologie
et lors d'entretiens avec M. Le Goffic, Archéologue départemental du Finistère.
Il faut cependant noter que peu de sites médiévaux fortifiés ont été fouillés
dans le département. Les résultats de ces fouilles ne sont pas toujours
accessibles car ils n'ont pas été publiés, ou seulement de manière très
succincte[9].
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Le travail aux Archives a été volontairement limité, notamment en
raison de la carence des sources
manuscrites médiévales en Basse-Bretagne. Notre objet étant avant tout d'établir
un inventaire archéologique, nous avons renoncé, dans un premier temps, à
entreprendre l'étude des documents du bas Moyen Age ou de l'époque moderne
dans lesquels l'existence d'anciens châteaux est quelquefois mentionnée[10].
Nous avons essentiellement dépouillé la série communale du Fonds L. Le
Guennec (34 J) aux Archives départementales du Finistère et également consulté
une copie des carnets de notes de
Sir Mortimer Wheeler, l’archéologue anglais qui parcourut le département en
1938 alors qu'il y fouillait deux retranchements d'époque gauloise[11].
L'examen
des cadastres du XIXe siècle nous a permis de récolter de précieuses
informations. Précisons toutefois qu'il a été impossible d'en effectuer un dépouillement
intégral qui permettrait sans doute de doubler le nombre de sites recensés.
Nous nous sommes intéressés aux sites déjà mentionnés, tout en étant
pleinement conscients qu'une étude exhaustive permettrait de découvrir
d'innombrables indices de sites inédits[12]. Les cadastres présentent
un double intérêt: le premier est de restituer l'état du parcellaire ancien,
notamment dans le cas des bourgs castraux, comme à Lesneven ou à Carhaix, et
le second de receler des microtoponymes tels que: "ar hastel" (le château),
"ar vouden" (la motte), "ar sal" (le château), "al
lez" (la cour du haut Moyen Age), "ar quinquis" (le plessis),
"ar roc'h" (le château), "ar chapel" (la chapelle). On peut
recenser ainsi des dizaines d’indices de sites, le plus souvent totalement
arasés, parfois depuis fort longtemps.
A la différence de certains inventaires précédemment parus, nous avons
systématiquement effectué un repérage sur le terrain. Ceci était
indispensable afin de vérifier l'état de conservation et la typologie des
ouvrages. C'est ainsi qu'il est apparu qu'un certain nombre de retranchements décrits
comme étant des "mottes" étaient en fait des enceintes circulaires
(La Motte en Plabennec, Plegavern en Clohars-Fouesnant...), des maisons fortes (Quistinic
en Briec, Coat-Morvan en Mahalon, Les Tourelles en Loqueffret...) ou des tours
ruinées (Poulguidou en Mahalon).
Pour chaque ouvrage, nous avons établi une fiche bibliographique ainsi
qu'une fiche descriptive et rédigé une notice. Ces commentaires sont de
longueur très inégale en raison de l'importance de l'ouvrage, de son état de
conservation et de la documentation existante. Les coordonnées Lambert ont été
relevées, quelques mesures prises et du mobilier parfois recueilli.
Au terme de cette étude, nous avons recensé 438 mottes, enceintes et châteaux
médiévaux dans le Finistère. Ce nombre est nettement supérieur aux données
jusqu'ici recueillies dans la mesure où, de prime abord, nous avons choisi de
recenser tous les types d'ouvrages et de ne pas nous en tenir aux seules mottes.
Cela présente l'avantage de pouvoir appréhender la géographie castrale dans
son ensemble et dans toute sa complexité dès lors que l'on recense les châteaux
majeurs, bâtis en pierre, et pas seulement les mottes, ouvrages caractéristiques
et spécifiques des XIe et XIIe siècles. L'inconvénient
est que, prenant notamment en compte plusieurs dizaines d'enceintes circulaires
terroyées souvent mal datées, il est possible qu'une étude plus approfondie
vienne démontrer qu'il s'agit, ponctuellement, d'ouvrage de l'Age du Fer et non
du Moyen Age. Nous avons toutefois écarté 150 à 170 ouvrages soit antérieurs
au Moyen Age, soit très mal datés ou dont la physionomie restait imprécise.
Ces données sont donc provisoires. Elles pourraient être revues à la hausse
à la suite de prospections systématiques, notamment aériennes, du dépouillement
intégral des anciens cadastres ou de l'étude d'anciens aveux[13].
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En ce qui concerne les mottes nous avons jugé nécessaire de faire
preuve d'une certaine prudence. C'est ainsi que nous avons adopté une triple
classification:
- « motte certaine »: quand le tertre est bien conservé ou
que, même en cas de destruction, nous disposons d'une description précise de
l'ouvrage;
-
« motte probable »: alors que celle-ci a souvent été détruite ou
que l'identification de ses vestiges laisse planer un doute;
-
« motte hypothétique »: quand il s'agit d'une "butte",
d'une "élévation de terrain" parfois désignée comme étant
une motte mais fréquemment disparue. Il peut dans ce cas y avoir confusion avec
un tumulus.
Il en résulte quelques problèmes de classification, notamment quand un
ouvrage est à la fois répertorié comme motte et comme enceinte (Rozan en
Crozon, Kerrouet en Le Cloître-Pleyben...). Des données complémentaires
devraient permettre, dans l'avenir, d'affiner la typologie de ces
retranchements.
Nous avons ainsi répertorié:
- 43 mottes à basse-cour: c'est à dire un tertre de terre artificiel,
ou semi-artificiel, servant d'assise à une tour ou à des bâtiments de bois ou
de charpente associé à une enceinte qui abritait les communs, les écuries,
voire une chapelle comme à Leskelen en Plabennec, la motte la mieux connue du
Finistère depuis sa fouille par J. Irien, entre 1973 et 1982;
-
48 mottes certaines dont la plupart étaient des centres de seigneurie, voire de
châtellenie;
-
28 mottes probables;
-
63 mottes hypothétiques;
-
une dizaine de terrasses, plate-formes, ou buttes naturelles aménagées qui ne
sont pas réellement des mottes.
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Si les mottes constituent un type d'ouvrage aisément identifiable et
datable, il n'en est pas de même pour les enceintes terroyées, constituées
d'un talus de terre bordé d'un fossé d'où ont été extraits les matériaux
du talus. C'est un type d'ouvrage qui a perduré depuis la Protohistoire
jusqu'au XIVe siècle. Nous avons dénombré:
-
83 enceintes circulaires ou ovalaires dont les deux tiers sont de petite
dimension (inférieure à 40 mètres de diamètre). On peut distinguer les
enceintes à vocation castrale, assez semblables aux mottes, et les enceintes
agricoles dont la valeur défensive était faible[14];
-
37 enceintes carrées ou quadrangulaires aux dimensions variables; bon nombre
d'entre-elles ont des angles arrondis et ne se différencient guère des précédentes;
-
22 enceintes de type protohistorique (éperons barrés, sites de hauteur, île)
dont la réoccupation, au Moyen Age, est certaine ou supposée;
- 39 enceintes au tracé indéterminé, elles ont fréquemment été détruites;
-
9 enceintes associées à des manoirs.
Le nombre d'enceintes et de châteaux de pierre est également
impressionnant:
-
28 châteaux de pierre ruinés ou conservés;
-
14 autres châteaux de pierre: châteaux sur motte, châteaux urbains, centres
de châtellenie; ils ont le plus souvent totalement disparu;
- 5 château très mal connus dont la datation reste incertaine;
-
11 enceintes de pierre (urbaine ou abbatiale) et fortifications de siège;
-
26 maisons fortes (un genre de petit château) ou tours ruinées;
-
14 sites où la tradition veut qu'il ait existé un château.
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La
réalisation de cet inventaire outre le fait qu’elle permette aux services
archéologiques une meilleure surveillance de ces ouvrages autorise aussi
certaines interprétations historiques sur le phénomène castral en Basse
Bretagne. On a
ainsi souvent présenté la motte comme étant l’ancêtre du château-fort or,
sans entrer dans un débat historique, certains historiens se sont longtemps
refusés à y voir de véritables châteaux. C’est oublier qu'on en désigne
certaines du XIIe au XIVe siècles par les termes
"castrum", "castellum" ou "chastel"(
Carhaix, Coat-Méal, Le Conquet et Coat-Meur en Landivisiau). En outre, La
valeur défensive de la motte de Lesquelen avec son donjon maçonné, son
enceinte en pierre et sa chape ne devait pas être négligeable au XIIe siècle;
elle fut occupée jusqu'au XIVe. On peut présumer que seule une
minorité de mottes furent des
forteresses et des chef-lieu de seigneurie (de l’ordre d’une quinzaine dans
le Finistère) aux XIe et XIIe siècles ; une huitaine furent même à
l'origine du développement d'une agglomération. Cependant, La valeur militaire
de nombre d’autres resta très relative ou insignifiante; la fonction guerrière
était sans doute secondaire au regard d'autres aspects: politiques, économiques
ou symbolique. Un certain nombre de mottes furent bâties par des milites
fidèles ou tenues par eux. Plusieurs traditions orales affirment que telle
seigneurie fut un démembrement d'une châtellenie au profit d'un cadet qui y
fit souche et en prit le nom, ainsi à Kergorlay , Coat-Meur en Landivisiau ou
Penhoat en Saint-Thégonnec, sans que cela fut vérifiable.
Au Moyen Age, le château avait une triple fonction : c’était
d’abord une
forteresse pour faire la guerre et s'y réfugier, mais aussi la résidence d'un
seigneur qui se différenciait de celle des manants et le centre d'une
seigneurie où étaient perçus divers droits sur les paysans. Depuis plusieurs
années les castellologues insistent aussi sur sa fonction symbolique : le
seigneur cherchait à se différencier des autres, à affirmer sa puissance, au
besoin en multipliant les organes d défense dans un but avant tout
ostentatoire. C’est ainsi que l’on a pu relativiser l’importance militaire
des mottes et insister d’avantage sur le contrôle économique du trafic
commercial quand elles étaient situées près d’un pont, plus que sur leur rôle
stratégique effectif. En
dernier lieu il convient d’insister sur le rôle que certains châteaux ont pu
jouer dans le peuplement au Moyen Age ; nous avons ainsi recensé 17 bourgs
castraux dans le département c'est-à-dire des agglomérations qui sont née à
proximité d’un château. Un tiers des chefs lieux de canton ont ainsi une
origine castrale comme Concarneau, Daoulas, Le Faou, Pont-Croix, Pont-L’Abbé,
sans parler de localités plus importantes comme Brest, Morlaix ou Lesneven qui
dès la fin du Moyen Age comptaient déjà plusieurs églises.
En conclusion, avec plusieurs centaines de sites à l’importance et à
la morphologie très variable le Finistère offre un paysage castral très varié
où dominent quelques grandes places ducales comme Brest, Lesneven, Morlaix, Châteaulin
et Concarneau. Plusieurs lignages de la moyenne aristocratie furent en mesure de
se faire édifier un château de pierre, mais souvent tardivement. Le nombre
important de mottes et d’enceintes castrales est là pour nous rappeler
l’importance du nombre de lignages nobles : bien souvent ce sont de
simples manoirs qui leur ont succédé. L’étude menée mérite d’être
approfondie par des recensements cantonaux exhaustifs alliant prospection
toponymique, prospections au sol et survols aériens mais aussi la fouille de
quelques exemples caractéristiques et documentés comme c’est actuellement le
cas à La Roche-Maurice.
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[1] M. BRAND'HONNEUR, Les mottes médiévales d'Ille-et-Vilaine, Rennes, 1990 ; S. HINGUANT, Les mottes médiévales des Côtes-d'Armor, Rennes, 1994 ; P. KERNEVEZ, Mottes, enceintes et châteaux médiévaux du Finistère, collection Patrimoine Archéologique de Bretagne, co-éditée par l'Institut Culturel de Bretagne et le Centre Régional d'Archéologie d'Alet, Rennes, 1997. [2] Ce qui bien entendu n’exclut pas que d’autres sites aient été recensés depuis… [3] R.-F. LE MEN, "Statistique monumentale du Finistère, époque romaine", Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, 1875, p. 122-147 ; R.-F. LE MEN, "Statistique monumentale du Finistère (époque celtique)", Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, p. 85-136 ; E. FLAGELLE, "Notes archéologiques sur le département du Finistère", Bulletin de la Société Académique de Brest, 1876-1877, p. 1-90 ; P. DU CHATELLIER, Les époques préhistoriques et gauloises dans le département du Finistère, Rennes-Quimper, 1907. [4] J.-M. ABGRALL, "Mottes féodales", Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, 1915, p. 54-85 ; L. LE GUENNEC, "Les mottes féodales du pays de Morlaix", Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, 1915, p. 86-105. [5] R. LE HAN, Les mottes féodales dans le Finistère, D.E.S. d'histoire médiévale (dactylographié), Brest, 1967. [6] R. SANQUER, "Les mottes féodales du Finistère", Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, 1977, p. 99-126. [7] P. KERNEVEZ, Châteaux et fortifications du comté de Léon (XIe siècle - milieu du XIVe siècle), mémoire de maîtrise d'histoire, Brest, 1988 ; Consulter la synthèse: P. KERNEVEZ, "Les châteaux du Léon au XIIIe siècle", Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne, 1992, p. 95-127. [8] R. SANQUER, "Chronique d'archéologie antique et médiévale", parue dans le Bulletin de la Société Archéologique du Finistère de 1967 à 1981. [9] Des fouilles ont été menées au Camp des Salles à Locronan par P. Guigon, à la motte de Leskelen en Plabennec par J. Irien, au château de Joyeuse-Garde en La Forest-Landerneau par M.-C. des Déserts, à la motte de Rochellou en Loperhet par V.-C.-C. Collum et plus récemment une fouille programmée a été entreprise au château de La Roche-Maurice par J. Martineau. Des fouilles de sauvetage ont été menées sur quelques autres sites dans les années 1960 et 1970. [10] Sur l’apport des sources historiques, consulter notre communication sur « Les châteaux du Léon, entre archéologie et histoire », à paraître dans les actes du colloque consacré au château de Trémazan en 2006. [11] Sir M. WHEELER, Notes books of the Brittany expedition, 1938, copie de M. BATT, Ingénieur d'études au Service Régional d'Archéologie. Qu'il soit ici remercié de nous avoir permis de consulter ce document. [12] C'est là un travail long et fastidieux dans la mesure où la plupart de ces ouvrages ont depuis longtemps disparu. On ne répertorie fréquemment que des indices de site mais, ponctuellement, on peut découvrir des retranchements très bien conservés dans des bosquets ou des bois. [13] Il
nous semble ainsi difficile de tirer des conclusions prématurées au sujet
de la répartition des mottes ou de leur fonction. Certaines sont situées
le long d'anciens itinéraires, particulièrement auprès de gués, et
d'autres sont incontestablement des châteaux importants des XIe
et XIIe siècles mais leur nombre et plus encore leur datation
posent problème. [14]
Au sujet des mottes et des enceintes
circulaires, consulter les actes du colloque de Caen: "Les
fortifications de terre en Europe occidentale du Xe au XIIe siècle", Archéologie Médiévale, 1980, p. 5-123.
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