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BÉ SUDARD

Un lieu de culte sacré sur la ria d’Étel

(Locoal-Mendon)

 

 

Claude Le Colleter et Jean-Paul Rieux

 

 

 

Si vous vous promenez le long de la ria d'Étel aux limites de la commune de Locoal-Mendon et de Belz vous serez surpris d'apercevoir plusieurs croix bien enfoncées dans la vase au lieu-dit Sainte-Marguerite… Un petit sentier souvent envasé en permet l'accès.

De quoi s'agit-il?

Il s'agit en fait de remémorer le souvenir d'un soldat républicain retrouvé sur cette grève un jour de l'été 1795. Le lieu-dit est particulièrement évocateur, Mané Beniget, colline bénie. Vous allez d'ailleurs comprendre que plusieurs cultes singuliers y sont célébrés.

Voici un extrait de l'ouvrage d'Edouard Gilliouard, historien local (Petite histoire de la paroisse et de la commune de Belz, 1976).

« Début 1795, on commença à parler sérieusement d'un débarquement des troupes royalistes en France. Ce débarquement eut lieu en effet les 27 et 28 juin 1795 à Quiberon. »

Ces divers combats et règlements de compte contre l'armée républicaine du général Hoche feront de nombreuses victimes sur la presqu'île de Quiberon mais les communes avoisinantes ne seront pas épargnées.

Du 20 au 23 Messidor an III (du 8 au 11 juillet 1795) plusieurs laboureurs ou cultivateurs furent découverts, exécutés dans leurs champs proches du bourg de Belz.

Mais, concernant ce Bé Sudard, Édouard Gilliouard relate les faits suivants :

« Le soldat sacrifié : deux soldats de l'armée républicaine cantonnée au bourg allaient tous les jours acheter du lait dans une ferme aux environs de Linézure. Un jour, une femme de la ferme ferma la porte sur l'un d'eux, se précipita sur lui et à l'aide d'une faucille lui coupa la tête. Puis elle fut jeter le cadavre dans la rivière d’Étel, tout à côté. Le flot transporta celui-ci en direction de Locoal. Il fut découvert sur la côte de cette paroisse en un point où les riverains l'enterrèrent. Cet endroit devint plus tard un lieu de pèlerinage. On l'appela Bé Sudard ; on y voyait des béquilles, des petites croix en bois qui étaient plantées, coiffées de bonnets d'enfants offerts en ex-votos et que recouvrait la marée haute. Ainsi, ont parfois été honorées d'un certain culte les victimes républicaines ; il y en a un en forêt de Camors, un autre à Saint-Jean-Brévelay. Le peuple ne considère pas l'appartenance religieuse ou politique, la bienveillance du sacrifié, il ne voit là que le martyr. »

Jean-Paul Rieux, natif de la région, qui se fait un devoir d’entretenir le site relate plusieurs anecdotes.

 

Ce lieu-dit Bé Sudard se trouve à Mané Beniguet entre les villages

de Lescouët, Cler Huën et Lomiguel (Carte IGN - Géoportail)

 

 

Il semble qu'il n'y ait eu qu'un seul soldat, la petite croix en granit (à gauche) 

a été placée au XXe siècle par un artisan local. Les trois autres en bois sont des fac-similés récents

 

On peut y voir des vêtements sous forme d'offrandes noués au-tour des croix.

Le pieu résiduel (à droite) doit être ce qui reste de la croix d'ori-gine.

 

 

On apprend ainsi « qu'en face de ces croix il y avait un tronc dans lequel les habitants locaux mettaient des offrandes, souvent sous forme de pièces de monnaies et ceci jusqu'à une époque assez récente. La procession du pardon se rendait en ce lieu ».

On en parle toujours lorsque l'on est impatient de voir ses petits-enfants marcher. Il faut savoir que la chapelle Sainte-Marguerite est toute proche.

Le culte de sainte Marguerite d'Antioche est spécialement voué aux femmes en couches. Aujourd'hui encore dans le Périgord près d'une fontaine Sainte Marguerite à Javerhalc (Dordogne), des fidèles vont déposer des vêtements d'enfants qu'ils suspendent aux branches des arbres.

Ce culte de protection des femmes en couches par l'invocation à sainte Marguerite se pratique aussi à l'église de Dol de Bretagne où il existerait une ceinture ayant appartenu à la sainte qu'il suffit de toucher pour avoir un accouchement en douceur.

Dans cette chapelle Sainte-Marguerite toute proche, est honorée la sainte dont le culte est voué aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge. Autrefois le pardon du second dimanche d'août était considéré comme une fête religieuse notoire. On a vu dans les années 1950-1960 les « boutiques » de Sainte-Anne d'Auray venir s'installer pour vendre leurs jouets et leurs fameux « berlingots », la chapelle n'étant jamais assez grande pour accueillir tous les pèlerins qui étaient bien souvent deux fois plus nombreux à l'extérieur.

Pendant la messe, un rite pratiqué, celui du pain béni distribué à la consécration, était comme une communion populaire. Ce pain était le don d'une famille, offert suite à une demande de grâce ou de guérison. L’après-midi se déroulait la cérémonie des vêpres avec procession à la fontaine située 300 m en contrebas, fontaine qui a perdu tout son charme lors du remembrement des années 1970.

Après les vêpres se déroulait une cérémonie typique : une vente à l'encan d'animaux domestiques, lapins, poules, coqs, pigeons qui devenaient la propriété des plus offrants. Le sacristain jouait le rôle de crieur public, c'était très animé. Lorsque les animaux étaient vendus, les pèlerins s'en allaient à pied vers Bé Sudard pour exposer leurs ex-votos aux croix plantées dans la vase. On y voyait des bonnets d'enfants, des culottes, des chaussures et même des petites béquilles. Ce rite est quelque peu maintenu de nos jours. Aux riverains qui se sont installés dans les années 80, on conseillait de ne pas trop s'approcher des croix, elles portaient malheur. La superstition est encore à l'ordre du jour.

 

Ce culte n'est pas sans rappeler celui de Bé er Sant en forêt de Camors. Voici ce qu'en dit Gaby Le Cam:

 

Dans la vaste forêt de Floranges existe un lieu bien particulier où se déroule de nos jours une curieuse tradition née de la croyance populaire. Sous un chêne se trouve, selon la légende la tombe d'un saint « Bé er Sant » saint bleu ou saint républicain.

Il se disait qu'un officier de l'armée républicaine, muni d'un drapeau blanc rencontrait les chefs chouans qui occupaient la forêt de Floranges. Par malheur, il fut tué. La population horrifiée en fit un saint populaire. L'endroit où reposent ses restes fut appelé la tombe du saint.

C'est là qu'a lieu une étonnante dévotion du monument. Les jeunes enfants qui tardent à marcher, qui ont des difficultés à se déplacer sont conduits par leurs parents ou grands-parents sur le site ; alors la mère récite des prières en aidant l'enfant à faire ses premiers pas. Le père ou le grand-père brise deux jeunes branches et confectionne une croix qui sera plantée sur le pourtour à l'intérieur de la tombe.

Ce lieu, bien que difficile à localiser, reçoit toujours de nombreuses visites.

Anecdotes républicaines et chouannes en forêt de Camors

Ma famille maternelle habitait le Scoulborh non loin de Bieuzy-Lanvaux. Voici deux anecdotes qui m'ont été rapportées par ma grand-mère maternelle, Marie Anne Brient, née Le Blay, habitant le Gosporh en 1903.

La première concerne le meurtre d'un chouan.

Il était entré dans la longère de son aïeule. Il y avait là la mère et la fille. Le chouan se montra très menaçant et demanda l'argent. L'aïeule lui montra le banc-coffre. Le chouan se baissa pour ouvrir le couvercle.

C'est alors que la maîtresse de maison s'empara d'une piguelle (une binette) et le frappa violemment à la tête.

Le chouan ne put se relever et succomba. Les deux femmes le transportèrent dans un taillis avoisinant où il fut enterré anonymement. Pas question d'en parler, par peur des représailles.

 

La seconde concerne la grâce accordée à un autre aïeul, œuvrant du côté des Chouans. Il avait été capturé par les Bleus (on appelait ainsi les soldats républicains) et fait prisonnier.

Dans une clairière de la forêt, les Bleus ont ordonné :

- Crie « Vive la République ! »

- Non, répondit le chouan.

Alors on lui donna une pelle.

- Tu vas creuser ta tombe.

Le chouan s'exécuta.

- Crie « Vive la République ! », réitérèrent les Bleus.

- Non, répliqua le prisonnier.

Le trou s'agrandissait, le chouan devenait fébrile.

Quand la tombe fut creusée, les Bleus le mirent en joue pour le fusiller. Une dernière fois le chef des Bleus lui ordonna:

- Crie « Vive la République ! »

Et l'aïeul entrevoyant sa mort prochaine répondit timidement:

- Vive....vive....la République.

C'est ainsi qu'il obtint la vie sauve.

 

Ce mode de persuasion a été souvent employé par les cavaliers Bleus lorsqu'ils avaient capturé un ennemi.

Mythes ou réalité

Il faut quand même se méfier de l'authenticité historique de tels faits. S'il peut y avoir une petite part de vérité, ils sont à prendre avec beaucoup de précautions. Ce sont souvent des légendes colportées dans d'autres régions, que ce soit en France ou en Europe.

Bibliographie

GILLOUARD Édouard - Petite histoire de la paroisse et de la commune de Belz - Des origines à la fin du XVIIe siècle - Imprimerie de Châtelaudren - 1976

LE CAM Gaby - Le site de Bé er Sant en Camors - Bulletin de la SAHPL n° 34, p 83