ETUDE TOPONYMIQUE DE LA COMMUNE DE LANDEVANT
(MORBIHAN)
Claude Le Colleter
Tous les villages, tous les lieux-dits ont une histoire. La toponymie est la science qui cherche à répondre à ces questions. En tant que résidant de la commune de Landévant, connaissant son environnement, je me suis intéressé à l'origine des divers noms de villages, en essayant de deviner quels ont été les prémices de l'organisation du territoire. Cette étude toponymique ne se veut pas formelle. Elle n'a pas la prétention de donner un sens définitif aux explications qui seront proposées. Par exemple, si le Cosquer (Goh-Quer) a sans aucun doute le sens de "vieux village", la toponymie de Kerandizerh se révèle plus ambigüe. Il peut avoir le sens de Ker-an-di-sech : village inauguré par un jour de sécheresse, ou village où le nouveau propriétaire avait refusé d'inviter ses voisins (village du jour où la gorge était sèche - cf. B. Tanguy). Il peut aussi avoir le sens de Ker-an-di-erh : village du jour de neige. Cette étude ne se veut être que le trait d'union entre des chemins "creux" dépourvus de signalisation, seules voies de communication du premier millénaire, et les routes bitumées d'aujourd'hui, jalonnées de panneaux indicateurs dont les "Ker" (village), les "Coët" : bois, et les "Mané" : colline, autorisent le sourire de la part des touristes étrangers, mais c'est le reflet d'une identité propre qu'il faut préserver. Concernant la formation du bocage, il faut attendre en effet le premier millénaire avant que ne se fasse réellement la mise en valeur de la région. A partir du XIè siècle et jusqu'au XVIIè , l'espace rural va se peupler de nombreux noms en Ker. Pour marquer sa différence, on va choisir Coët, Loc, Mané, Bod. Plus que nulle part en France, la Bretagne sera la région de l'individualisme agraire. Des paysans laboureurs vont commencer à modeler le paysage tel que nous le connaissons aujourd'hui. Ainsi vont naître de petits villages (souvent une seule maison, parfois deux), séparés les uns des autres et indépendants. Ils sont autonomes, le four à pain est proche, le moulin peu éloigné. Les habitants vivent en autarcie. A cette dispersion de maisons paysannes, va répondre une dispersion de manoirs ; Landévant en comptera trois : le Val, Lannouan et la Demi-Ville. Pour choisir un nom, le propriétaire ne s'embarrasse pas, il ne triche pas non plus ; si la terre est inculte, elle doit en porter le nom. Elle portera aussi le nom des arbres, des plantes que l'on y trouve, parfois celui des animaux ou le patronyme de l'habitant du lieu (qui quelquefois n'hésitera pas à le changer).
|
Noms de villages (ou maisons) ayant un rapport avec la végétation, le relief, l'hydrographie
Bot er Bolor Bosquet de lauriers Kerdrein Village des ronces Bothalec Village des saules Bot Pero Bosquet de poiriers Bellerit La cressonnière Kerguistenen Village des châtaignes Botlidat Sans doute issu de Linat : bosquet d'orties Botquélen Bosquet de houx (en français, la houssaie) Park-Lann Le champ d'ajoncs Kervilio Propriété des Spinefort en 1607, doit vouloir signifier village du lierre (en breton ilio = lierre) Coët Drévec Orthographié Coët Dervec en 1400, occupé à cette époque par les seigneurs du Talhouët, doit signifier le bois de chênes (en breton derv = chêne). Equivalent français : la chesnaie Tallann A côté de la lande Talvern Indique la proximité d'aulnes ou de marécages (vern = aulne ; gwern = marécage) Equivalent français : verneuil Mané-Lann-Vras Colline de la grande lande Leign-er-Lann Haut de la lande Mané Lanigo Colline de la petite lande Coetel Peut être issu de Coët "ihuel" : le bois d'en haut Ty Dong La maison d'en bas Mané Craping La colline qu'il faut monter Brangolo La colline de la lumière. Equivalent français : clermont Coët Cranne Coët : bois, crann signifiant taillis, terre à fougères, garenne Toul er Roz Ici, il s'agit d'un passage, d'une entrée (tou) au travers d'un monticule (roz) souvent recouvert de bruyère Le Brenneg Terre à joncs Lann er Scasse Il doit s'agir d'une mutation orthographique de lann et scaff, les deux "f" étant devenus "ss", ce qui donnerait la signification de lande (lann) et sureau (scaf, scao en breton selon les régions) Seludiern Porte le même nom que le ruisseau qui y soule (Suliern), sul signifie dimanche mais ici on retiendra an ihuern qui veut dire "en bas", enfer Le Lennic Le petit étang Le Gohlenn Le vieil étant ou étang desséché Le Gouah Le ruisseau ainsi que Prad er Houah : le champ près du ruisseau Poul Can Hir Poul signifie mare, can un petit ruisseau (souvent un petit canal artificiel de dérivation) et hir : long. En termes plus clairs, il s'agit d'un long lavoir Pouldu La mare noire Poul-Porheu La mare aux pourceaux (pourceaux désignant porcs en vieux français) Poul Godroh Il doit s'agir de Poul-goh-roh, ou le lavoir de la vieille roche Roh Chignan Le rocher aux grenouilles Lann er Valé Lande de la promenade Kerfétan Village de la fontaine jaillissante Fétan er Rest Fontaine du repos Kerallé Sans doute issu de Ker-an-alé, "an alé" était autrefois le chemin bordé d'arbres qui menait aux demeures Le Distro Le détour
|
Noms de villages ayant un rapport avec un nom de personne, un patronyme ou un métier
Lannouan Le château porte le nom de son propriétaire Hervé de Lannouan (1664). La seigneurie est aussi orthographiée Lanuan et peut avoir une origine dans Lannion (Lanuon) ou La Noué, noë désignant souvent une zone humine, parfois aussi lande suivant les régions Porh-Val Porh signifie cour close ; quant à val il s'agit de la maison noble Duval propriétaire en 1453 Kerlois Village de Louis Kerfloc'h Village de Le Floc'h (le page, l'écuyer) Kerfraval Village de Fraval (pluriel Fravalo) Moulin de Keraudran Audran était un prénom très courant au Moyen-Age Moulin de Plusquen Propriété de la famille Plousquen Kersauze Village du saxon (anglais) sans doute habité par une famille Le Saux ayant une lointaine origine outre-Manche ou ayant pris parti pour les Anglais lors des guerres médiévales Bodavel Peut être un lieu exposé au vent, mais sans doute la maison d'Abel Kerbernes En breton Bernard se traduit par Bernès, mais il peut aussi s'agit du village de Pernès, un nom de famille issu de Perinis Mané Gagn Colline de la femme frivole, mais l'autre écriture Mané Gav : colline de la chèvre, est aussi vraisemblable Mané Bellec Colline de bellec (du latin baculus : homme au bâton de pasteur) Moulin de Guillemin Sans doute un rapport avec la famille Guillemin hôte du château de Kerambartz au XVIIè siècle Bot Guéganno Maison de Guéganno (issu de guégan : personne de bonne vue) Le Penher Peut-être, comme c'est souvent le cas, la maison du fils aîné, mais ici il peut aussi s'agit du Pen-Ker (bout, extrêmité du village) Kerhello Village de Hello, issu de Haël : généreux, franc Coët Evennec Bois d'Even : un patronyme très répandu à la fin du Moyen-Age Bois d'Allan Bodallan en 1536 : il s'agit de la résidence d'Alan Bot Courio Brunet Courio est issu de gouriet, gouri : mâle ; brunet signifie brun ; il s'agit du nom de deux familles associées lors de mariages ou d'héritages Kerveno Il y en a trois sur le territoire de la commune. Est-ce issu de la grande famille du marquis de Kerveno originaire de Pluméliau qui sous la pression des Rohan dût s'exiler dans notre région, ou y a-t-il un rapport avec la seigneurie Kermeno propriétaire du château de Lannouan au XVIIè siècle. Une quasi certitude, le patronyme Kerveno trouve son origine dans Kergueno où se trouve la racine guen qui lui confère un sens de "pureté, blanc, sacré" Bodamour Bois d'Amour sur le cadastre de 1840, est fréquent sous ces deux formes. Porte vraisemblablement le nom du propriétaire Lamour, issu du nom de famille gallois Amor Keratorner Village du batteur de blé (ou aire à battre), en breton vannetais dornereh signifie battage Kerbotez Sans doute village du sabotier Kergaud De ar gov : forgeron. Le goff est le forgeron très respecté qui au Moyen-Age traite directement le minerai dans son bas fourneau Coët Drian Bois de Drian, lui-même issu de Derien (derv : chêne + g. en : race) de la race des chênes désignant une personne vigoureuse Kerzard Gard signifie parfois haie, et en vieux breton ard signifie situé sur une hauteur. Ces deux hypothèses sont permises mais si l'on considère l'écriture Kerzart au XVIIè siècle, il doit s'agir du village d'Arthur, Art étant le diminutif Kerbodo Village de Bodo (personne ayant un gros ventre, exerçant la profession de tripier ou un métier similaire) Coët Rival Anciennement Rivallon, bois de Rival - Riwal : Ri (roi) et Wal (valeureux) Kerhaut Anciennement Keroaud, appartenant à la seigneurie Kerrouaud de la Haye
|
Noms de villages ayant un rapport avec les animaux
Kermoro Village des porcs Keraët Village des rats
|
— –
L'occupation de cette région est très ancienne. Comme le cite Cayart Delanoë,(Le Morbihan et son histoire), "La position de Landévant dut avoir de l'importance sous les romains et les briques nombreuses qu'on y rencontre prouvent qu'ils y eurent un établissement". Cependant, les toponymes d'origine romaine paraissent inexistants sur le territoire de la commune. |
Hypothèse I Il existe dans le département de la Saône et Loire deux lieux-dits répondant au nom de "Le Devant". Si l'on se réfère à la théorie du Chanoine Falc'hun (Nouvelle recherche en toponymie celtique), leur origine semble avoir été empruntée au latin défensum (zone réservée, voire interdite) qui pour la suite aurait donné Deffand, Defaix, Devez et Devant. Cette hypothèse, sans l'écarter totalement, ne me paraît pas très crédible.
|
Hypothèse II Lue parfois dans la presse. Il s'agirait d'un culte voué à Saint Degan. Saint Degan (en latin Decannus) fut l'un des disciples de Saint Pol Aurélien. Cette hypothèse, à mon avis, doit être écartée.
|
Hypothèse III
Signalée dans "L'histoire des paroisses" de Le Méné, "Landévant paraît selon quelques étymologistes tirer son nom de Land et Evan, territoire d'Even ou d'Yves". Dans le dictionnaire des saints bretons (Tchou 1986), on annonce Even venant de Ewen que l'on invoque à Scrignac (22) en l'église Saint Germain de Kerlaz ou à Plounevez Porzay. Ce saint Ewen s'écrirait sous les formes Euuen (vieux breton), Evennus, Eventius (latin), Even, Event, Ewan, Evan, mais en aucun cas ne peut être confondu avec Yves.
|
Hypothèse IV
q Pierre Madec y voit un Saint Devan qui correspondrait à Dyfan, "un envoyé du pape Eleuthère, qui fut martyrisé". Il écrit par ailleurs "Il y a un Llandefand en Monmouth et chose curieuse on honore tant là-bas qu'ici un même Saint Martin. Mais il y a aussi un Llandegfan en Anglesey" (Pays de Galles). q Quant à L'Institut Culturel de Bretagne (Rennes), "on entend localement [Laiva ]. Comme forme ancienne on a Landecvan en 1330, Lendevant en 1437, Landevan en 1481". q Pour Smith (De la toponymie bretonne, dictionnaire étymologique 1940), le nom signifie chapelle de Tecvan. q Pierre Robino de la Société d'Archéologie et d'Histoire du Pays d'Auray rejoint un peu l'hypothèse de Madec "Mongnon donne Landecvant ; Pouillé de 1330 p. 313. C'est sans doute la forme primitive. Si Lan-Degvan est la vraie forme, il faut identifier le saint breton avec un saint gallois bien connu". q Alan J. Raude, linguiste bretonnant, voit un saint Avant dans le nom. Le nom de ce dernier saint est mentionné au lieu-dit Lan Avan en Mahalon (29). Le Cartulaire de Quimper fait également état du nom propre Avan en 1330. q Dans le Dictionnaire des Saints Bretons, Evan, Devan, Devant, Decvant, Tegvan, Evence, correspondraient à un seul et même saint : saint Evans. Deux lieux-dits portent le nom de ce saint, l'un à Grand-Champ (56), l'autre à Bégard (22). Saint Evans est le patron de l'église paroissiale, placée sous le vocable de Evence à Lannebert (22), où l'on peut d'ailleurs voir une statue de ce saint" q Pierre Jakez Hélias dans la préface de cet ouvrage définit le saint breton comme un être "dont la vertu la plus marquante est l'humilité". Il disposait de certains pouvoirs, notamment d'agir sur la pluie ou sur le beau temps. Mais on avait surtout recours à lui quand il s'agissait de guérir une maladie. Un élément important dans le culte de ces saints est "la présence d'une fontaine dont l'action est jugée souveraine, et bienfaisante quand il s'agit de guérir certains maux".
|
qqq
- Toponymie celtique - J.M. Ploneis - 1983
- Noms bretons d'origine toponymique - F.
Gourvil - 1993
- Noms de famille les plus portés en Bretagne - Gwendé Le Menn
- Les noms de lieux bretons - Bernard Tanguy
- Dictionnaire de la Bretagne - Ogée - 1840
- Histoire des paroisses du diocèse de Vannes - Le Méné - 1891
- Nouvelle méthode de recherche en toponymie celtique - F. Falc'hun
- Dictionnaire des saints bretons (Tchou - 1986)
- Carte I.G.N. 0820 (pour l 'orthographe des noms de lieux utilisée)
— –