La côte sud-ouest de Groix exposée aux
bourrasques de l'Atlantique offre un abri naturel, la ria de Port
Saint-Nicolas bien connue des adeptes de la voile qui viennent y trouver
un havre de repos durant la période estivale. La partie ouest de cette
importante échancrure du rivage offre le spectacle d'imposantes falaises
rocheuses au pied desquelles viennent se briser, en période hivernale,
les déferlantes venues du grand large.
Ces falaises sont recouvertes d'un vaste plateau tapissé de végétation
rase d'où émergent de rares formations rocheuses permettant de s'abriter
des vents dominants. C'est dans cet environnement aujourd'hui hostile que
s'établit, il y a environ 6000 ans avant notre ère durant la période du
Mésolithique moyen, un petit groupe de chasseurs-pêcheurs nomades que je
qualifiais, jadis, de "coureurs de grèves"!...
*
Localisation
et présentation du site.
LE GORZED (la roselière).
Ce gisement auquel j'ai attribué le nom du lieu-dit le plus proche porté
sur la carte topographique 0721 nord, de l'IGN, carte de l'île de Groix
au 1/25000, est situé sur la bordure littorale de la branche occidentale
de Port Saint-Nicolas.
A proximité du site, dans sa partie est, un vallon en pente douce
descend vers les rochers de la ria; ce vallon se termine par une roselière
où, une humidité quasi permanente autorise la croissance de roseaux,
graminées répandues, en divers points de la zone côtière de l'île.
Orthographié de manières différentes, en breton, le toponyme
adopté pour désigner le lieu-dit (la roselière), sera celui de Le
Gorzed mentionné sur la carte de l'IGN A Groix, la dénomination locale
est celle de Er Gorzeg (Gorzet en prononciation locale).
En toponymie bretonne, Korz, signifie (roseau); Korz-mor (roseau
maritime); Korz-dour, associe (le roseau, à l'eau ou au ruisseau)…
Du
village de Kerlard, en Piwisy, partie ouest de l'île, un sentier pédestre
aboutit à un amer,
la Marque
Blanche
(cote 29). De ce repère, en longeant la côte vers l'est en direction de
Port Saint-Nicolas, un chemin de terre arrive en fin de parcours au site
préhistorique (cote 34).
Plusieurs
impératifs ont dû mener les hommes de
la Préhistoire
à choisir ce point de la côte pour y effectuer des haltes probablement
saisonnières. En abordant par voie terrestre ou maritime cette échancrure
du littoral, ils découvrirent le lieu idéal propice à leurs activités
de chasse et de pêche.
La jonction des deux vallons, celui de Quéhello, à l'est et de
Kerlard, à l'ouest donna naissance à la ria de Port Saint-Nicolas. Cette
dernière, largement ouverte sur l'océan laisse entrer, par gros temps,
des épaves qui à l'époque mésolithique devaient être essentiellement
des troncs d'arbres morts. Ces bois flottants représentaient une aubaine
lors de la construction d'esquifs de fortune, l'édification d'habitats
temporaires, l'entretien des feux de boucanage…
Dans ce cadre naturel, les vallons leur offrirent de nombreux abris
rocheux et cavités les protégeant des rudes vents dominants. Au pied de
ces reliefs devaient couler d'impétueux cours d'eau, source de vie. La
faune de l'époque venait s'y abreuver permettant des activités de pêche
aux salmonidés et de chasse à l'arc. Lorsque le gibier se raréfiait, la
mer réservoir inépuisable (heureux hommes!...) procurait aux chasseurs-pêcheurs,
poissons, coquillages, crustacés…
Sur le plateau, depuis fort longtemps, le passage de véhicules
lourds ne se fait plus; seuls les éléments naturels, pluies d'automne et
action des vents violents accompagnés d'averses durant les fortes tempêtes
d'hiver viennent accentuer, un peu plus chaque année la dégradation du
sol. Il faut ajouter à ce constat, l'action dévastatrice des lapins et
taupes creusant allègrement terriers et galeries dans la faible épaisseur
de terre végétale.
Actuellement, la partie sommitale du gisement mésolithique s'étendant
entre les cotes d'altitude 34 et 32,5, au sud du chemin de terre, est formée
d'un amas de blocs rocheux; la roche mère mise à nu laisse entrevoir de
petits couloirs d'érosion ou se trouve concentrée la quasi totalité du
matériel lithique des chasseurs-pêcheurs. Par extension aux abords immédiats
des blocs de roche et principalement sur la forte pente orientée S.E.
menant au rivage, relique probable d'un ressaut du plateau, des éléments
épars d'outillage peuvent apparaître. La superficie de la station peut
être évaluée à environ
700 m2
.
Variations climatiques durant l'Holocène.
Entre 8000 et 6700 avant notre ère : climat préboréal;
(moyenne de juillet 8° à 12°). Vers 6000 avant notre ère : climat boréal;
(plus froid que l'actuel). Retour d'un climat atlantique; (légèrement
plus chaud et sec que l'actuel), entre 5000 et 4000 avant notre ère;
(moyenne de juillet : 17°).
Environnement et adaptation des humains au milieu naturel.
L'ère quaternaire est le
dernier groupe des époques géologiques, qui se subdivise en deux séries
d'étages : le pléistocène, ou quaternaire ancien, et l'holocène,
ou quaternaire récent. Deux grands phénomènes caractérisent l'ère
quaternaire : les glaciations et les transgressions marines.
L'alternance de périodes froides et de périodes de réchauffement
("interglaciaires") a entraîné des variations importantes du
niveau des mers.
Durant l'Holocène, entre 8000 et 7000 ans avant notre ère, la
remontée des eaux a provoqué l'ennoiement du littoral, faisant disparaître
nombre de sites fréquentés par les chasseurs-pêcheurs du Mésolithique
ancien. L'adoucissement du climat se poursuivant, une faune nouvelle
habite le monde végétal renouvelé. Dans l'hinterland, à la steppe succède
la forêt des conifères parcourue par des hardes de sangliers; puis, plus
tardivement lorsque les arbres tempérés supplanteront les conifères,
cerfs et chevreuils, dont l'utilité est bien plus grande, domineront.
La remontée des eaux se poursuit…Des groupes de chasseurs-pêcheurs
s'installent le long de nouvelles côtes venant demander à la mer la
nourriture que la chasse ne leur fournit plus. Au Mésolithique moyen la
montée des eaux se stabilise; nous sommes en présence d'un environnement
côtier profondément perturbé. Certains territoires maritimes se sont détachés
de la bordure continentale formant des îles et des îlots rocheux.
De nouveaux groupes humains perpétuant les traditions de leurs ancêtres
parviennent aux périodes de très grandes marées, à la basse mer, à
atteindre les îles et îlots et à récupérer les anciens lieux de pêche
sur les promontoires dominant l'océan.
Le Mésolithique final, vers 5000 avant notre ère, est une période
de transition vers le Néolithique. Le passage permettant d'aborder l'île
de Groix, très certainement situé dans la partie orientale de l'île, n'étant
plus accessible, les derniers nomades "coureurs de grèves"
eurent recours, selon toute probabilités, à de primitives embarcations,
afin de poursuivre leurs activités halieutiques et de ramassage de
coquillages.
Sur l'île de Groix, trois stations principales du Mésolithique
moyen ont été repérées : Biléric-Le Fons;
la Pointe
de l'Enfer; auxquelles viennent s'ajouter la station du Gorzed.
Préparation du matériel de chasse et de pêche.
A la station du Gorzed, le matériau utilisé pour la préparation
de l'outillage lithique se présente sous la forme de petits galets côtiers
de silex. A la fin du Préboréal et au début du Boréal, des gisements
de galets issus de bancs fossiles se trouvaient à quelques kilomètres,
plus au large par rapport au littoral actuel (Morzadec-Kerfourn, 1974).
A Groix, le problème de la provenance de ces galets de silex, de
petit calibre, reste entier; " leur
présence dans les cordons littoraux de l'île n'est pas attestée à
l'heure actuelle" (G. Marchand, 1992). L'hypothèse d'un
transport de matière première à partir de la zone côtière s'étendant
de la côte ouest de la presqu'île de Quiberon, jusqu'à
la Pointe
de Gâvres, serait peut-être à envisager (?).
Les nucléus, en l'occurrence les galets côtiers, globuleux ou
ovalaires sont réduits après les possibilités maximales de débitage,
à des mesures comprises entre 30 à
40 mm
. Le poids moyen d'un galet prélevé avant le débitage avoisine 70 à
80 grammes
.
Le but du débitage d'un nucléus est l'obtention d'éclats, de
lamelles, parfois de lames suivant le volume des blocs à tailler. Les
produits obtenus ont subit les contraintes mécaniques liées au débitage
du matériau; la présence sur le site de galets testés, l'importance des
micro-galets ne pouvant offrir qu'un ou deux éclats ou lamelles de
faibles dimensions, le rejet de nombre de galets de médiocre qualité, témoignent
d'une gestion rigoureuse de la ressource en matière première.
Les nucléus récoltés sur le site ont été débités par
"percussion directe"; l'artisan, à l'aide d'un percuteur frappe
directement le nucléus afin d'aménager ce que l'on nomme un "plan
de frappe", à partir duquel il effectuera le détachement des éclats,
lamelles, ou lames. Ce percuteur est qualifié de "dur" lors de
l'utilisation d'un galet ou d'une masse de pierre ; le percuteur porte
alors les stigmates de la percussion (étoilures). L'absence de tels
percuteurs sur la station du Gorzed laisse supposer l'utilisation de
percuteurs "tendres", en matières périssables (bois, os).
Les nucléus à un plan de frappe (unipolaires) représentent la
majorité du lot prélevé au cours de ramassages successifs. Cependant,
certains galets de par leurs formes ont exigé d'autres procédés de débitage;
ces types de nucléus sont toutefois minoritaires.
-102 nucléus ont été récoltés sur ce secteur du plateau
totalisant un poids d'1,500kg.
Les opérations de préparation des nucléus ont libéré sur le
sol une quantité importante d'éclats en tous genres, principalement des
éclats d'amorçage et d'épannelage ainsi que des déchets de taille découlant
des opérations d'extraction des produits de débitage. Ces résidus
forment un ensemble de 1968 pièces, d'un poids appréciable de
3,527 kg
de matière première.
Au retour du climat atlantique, une nouvelle faune s'installe dans
les forêts de l'arrière-pays; la chênaie-hêtraie abrite des hardes de
sangliers, cerfs, chevreuils. De petits animaux sauvages, à fourrure,
occupent également le couvert forestier. Sur les promontoires rocheux
du littoral, les oiseaux de mer vivent en colonies nombreuses; des
oiseaux migrateurs venus du
Nord retrouvent en saison hivernale les étendues d'eaux dormantes…Le
gibier est là.