LE CHÂTEAU DU PLESSIS JOSSO
THEIX (Morbihan) - Manoir fortifié du XVe siècle
Eliane Le Mintier de Léhélec et Emmanuel Salmon Legagneur
Le Plessis Josso est le type même de manoir breton avec ses dépendances, tels qu'on les construisait à l'époque des ducs de Bretagne. C'était un ensemble de bâtiments parmi lesquels se trouvait le logis seigneurial conçu pour les besoins d'une seigneurie importante. Une cinquantaine de personnes pouvaient y vivre. Il était entouré par un vaste domaine agricole pouvant aller jusqu'à 2 000 hectares. Son nom vient du latin "plexare" et laisse supposer que la première construction était entourée de palissades en bois. C'était une maison forte bâtie vers le XIVe siècle par la famille Josso qui lui a donné son nom. Cette maison forte se limitait à la partie gauche du grand logis actuel et ne comportait qu'une pièce par étage. C'était une tour, en quelque sorte, à laquelle on accédait par un escalier rudimentaire en bois situé à gauche du bâtiment. Puis cette maison s'est agrandie au XVe siècle sur la droite par un grand corps de logis seigneurial avec une façade percée de fenêtres à meneaux en pierre,une porte d'entrée gothique ornée de pinacles et une tour d'escalier polygonale extérieure en pierre. Nous devons aussi aux Josso les trois lucarnes supérieures gothiques datant de la fin du XVe siècle. L'une est garnie de dragons et une autre plus dépouillée à droite porte les armes de cette famille. A droite du logis, une aile en forme de pavillon a été construite vers la fin du XVIe siècle par la famille Rosmadec, sans doute sur l'emplacement d'une ancienne tour de défense. Il y avait aussi, tout autour de la cour, de nombreux bâtiments de service et d'habitation pour le personnel, notamment à droite un grand commun orné de jolies lucarnes Renaissance dont les armoiries ont été grattées à la Révolution. Sur la gauche, une très grande écurie, car il ne faut pas oublier que le seigneur devait fournir des chevaux et des hommes d'armes au duc en cas de conflit. Tout autour, se trouvait un important système de défense avec des tours d'angle et des courtines que l'on peut encore voir au sud et au nord du bâtiment principal, ainsi qu'un grand verger fortifié à l'est. En regardant tout cet ensemble encore bien conservé, et peut-être unique en Bretagne, on a un aperçu des principaux styles architecturaux utilisés en Bretagne avant la Révolution. Ils représentent près de six siècles d'histoire.
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Bien qu'elles aient varié au cours des siècles, l'une des fonctions essentielles était défensive. Le manoir devait protéger ses occupants. Bien abrité derrière ses remparts et ses tours desservis par des chemins de ronde légers, le Plessis Josso était facilement défendable. Cette seigneurie constituait aussi un relais entre les grandes forteresses de Suscinio et de l'Argoet. Mais elle dépendait de l'évêque de Vannes, personnage très important dont le fief couvrait les communes actuelles de Theix, Surzur, Grandchamp et Saint Avé. Les fortifications étaient nécessaires à cette époque, car cette partie de la Bretagne fut le siège de nombreuses guerres et troubles de toutes sortes : après les invasions normandes, il y eut la longue guerre de succession de Bretagne au XIVe siècle, puis la guerre avec la France au XVe siècle, et plus tard les sanglantes guerres de religion. Il n'est pas impossible que le Plessis Josso ait joué un rôle dans l'un ou l'autre de ces conflits, car le pays de Vannes était au coeur des combats. On raconte aussi que Du Guesclin serait passé au Plessis Josso avant d'attaquer et de prendre le château de Suscinio pendant la guerre de succession. En cas de danger, les paysans et leurs familles venaient chercher refuge au manoir avec leurs troupeaux que l'on mettait dans le verger fortifié. La population du château pouvait ainsi doubler à certains moments. L'autre fonction tout aussi importante était l'exploitation du domaine agricole. Le fief du Plessis Josso avait une étendue de plus de mille hectares. La plus grande partie de ses terres se trouvaient dans la commune de Theix, mais certaines aussi étaient situées en bordure du golfe du Morbihan et de l'Océan en Noyalo et à Surzur. Plusieurs seigneuries secondaires lui étaient rattachées, comme celles de Kernicol et du Pont en Theix, ou de l'Espinay à Surzur, et des Ferrières à Sulniac. Le domaine propre du manoir comportait des moulins à vent et à eau, une aire à battre avec son grenier, des bâtiments divers, ainsi qu'une chapelle et un pigeonnier, aujourd'hui disparus. Des bois de haute futaie, un bel étang et de nombreuses métairies ou fermes, qu'on appelait des "tenues congéables" complétaient l'ensemble. Les seigneurs du Plessis Josso disposaient aussi de prééminence à l'église de Theix, ainsi que d'un four banal et d'un droit de foire deux fois par an à Theix. |
LES DIFFERENTES FAMILLES DU PLESSIS JOSSO Trois familles seulement se sont succédées ici en six siècles.
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Les Josso (1330-1550) : En 1330, Sylvestre Josso, noble écuyer à la cour du duc Jean III, épouse Martine de Carné, fille d'Olivier de Carné, seigneur de Questembert, chambellan du duc. De cette union sont issus les seigneurs du Plessis Josso que l'on retrouve à plusieurs reprises dans l'entourage des ducs de Bretagne. L'un d'eux, Pierre Josso (1400-1478), fut l'homme de confiance et conseiller de Jean V. Il fut aussi gouverneur de Moncontour et chargé de mission auprès du Pape. Un autre accompagnait Richemont en 1424 à Angers lors des négociations avec le roi de France. Cette famille était la plus importante de Theix, où elle figure aux réformations et aux montres de 1428, 1464 et 1536. On y apprend qu'elle devait se présenter avec 4 cavaliers "équipés de brigandine avec salade, harnais de jambes et voulge", ainsi que 2 archers, ce qui dénote un revenu important. Les Josso s'éteignirent au milieu du XVIe siècle. L'une des dernières du nom, Louise Josso, épousa Pierre de Rosmadec vers 1500. Elle n'eut qu'une fille, Louise, qui épousa elle-même un Rosmadec et, par elle, le Plessis passa aux Rosmadec.
Les Rosmadec (1456-1786) : C'était une très ancienne et puissante famille de Cornouaille qui donna de nombreux personnages célèbres à la Bretagne, notamment des Gouverneurs de Quimper, Dinan, et Nantes, ainsi que plusieurs évêques de Quimper et de Vannes. L'un d'eux, Sébastien de Rosmadec, naquit au Plessis Josso et fut le fondateur du pélerinage à Sainte Anne d'Auray. Cette famille possédait un grand nombre d'autres seigneuries autour de Vannes et dans le pays nantais. Elle s'est éteinte en 1784, en la personne de Michel Anne de Rosmadec, marquis de Goulaine et seigneur du Plessis.
Les Le Mintier de Lehélec (1786-aujourd'hui) : Le Plessis fut acquis en 1786 par François Marie Le Mintier, colonel des gardes du Roi et marquis de Léhélec, qui, après la Révolution, devait devenir maire de Vannes et l'un des premiers présidents du Conseil Général du Morbihan. Il n'habita pas au Plessis, mais il en fit don à son neveu, Sévère Le Mintier, officier des armées royales, dont la mère, Marie Louise du Bouexic, était dame de Bonnervaux à Theix. Mais ce dernier qui prit part à la "chouannerie" comme chef de la division du Porhoet, ne l'habita pas immédiatement. Son fils Edouard lui succéda au Plessis et devint maire de Theix en 1840. La propriété appartient maintenant à Eliane Le Mintier de Léhélec, leur descendante.
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L'entrée et l'escalier - On entrait autrefois de plain pied dans la grande salle basse, où s'effectuait toute la vie publique du château. Le mur en tuffeau qui sépare l'entrée de la grande salle n'existait pas, il a été rajouté au XVIe siècle pour améliorer le confort. Le sol était recouvert de pavés grossiers et irréguliers qui, par la suite, ont été remplacés par des dalles. Très souvent, à cette époque, les sols de ce niveau étaient en terre battue. L'escalier en pierre date du XVe siècle. Il est très typique de l'époque et de la région. Il se termine par une plateforme de guet d'où l'on pouvait surveiller les environs, et qui possède une minuscule cheminée pour réchauffer le guetteur.
La maison forte - C'est la partie la plus vieille du château. Elle comportait une seule pièce par étage, avec des entrées séparées pour chacune. La cuisine a conservé sa cheminée du XIVe siècle, et un évier en granit à même le sol. Celui-ci était en terre battue. La fenêtre ébrasée avec ses coussièges en granit a été agrandie au XVe siècle. La chambre haute a conservé sa porte d'accès extérieure donnant sur un échafaudage et un escalier mobile que l'on pouvait retirer en cas de besoin.
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Le grand logis - Au Moyen Age, le seigneur vivait avec sa famille au premier étage. Il disposait d'une grande salle commune, qui comportait une grande cheminée, quelques lits, des tréteaux, des sièges et des coffres. Le sol était revêtu de carreaux de terre cuite ornementée mais très fragiles, dont quelques exemplaires ont été retrouvés. On peut voir, à côté de cette salle, une petite chambre très typique du XVe siècle. Elle pouvait aussi servir de cuisine. Elle a conservé sa peinture, son évier en pierre et son carrelage d'époque.
Les celliers - Ces grandes pièces en contrebas et au nord avaient plusieurs utilités. Tout d'abord, elles servaient à conserver les aliments : céréales, haricots, viande salée, huile ... en quantité suffisante pour tout un hiver, et, le cas échéant, pour un siège. On consommait aussi beaucoup de vin que l'on faisait parfois venir de Gascogne, comme en témoigne l'histoire survenue à Guillaume Josso en 1546. Mais cela n'occupait qu'une partie des locaux et le reste pouvait servir de prison, car il fallait des locaux disciplinaires pour mettre à l'ombre les coupables quand le seigneur rendait la justice.
La grande salle basse - C'était la pièce la plus importante du château. Le seigneur s'y tenait pour recevoir ses hôtes et y exercer ses fonctions. Il y rendait probablement la justice. Le symbole de son pouvoir était la crédence de justice en pierre surmontée d'une accolade devant laquelle il se tenait. Sur les étagères, on plaçait des objets précieux, de même que dans l'armoire en pierre située à droite de la cheminée. On peut aussi admirer la très belle cheminée du XVe siècle, décorée par une cordelière. Les seuls meubles de cette pièce étaient des sièges et des coffres en bois sculpté.
La chambre d'apparat - Cette pièce a été complètement remaniée au XVIIe siècle par Anne de Goulaine, marquise de Rosmadec, pour en faire une chambre d'honneur avec une monumentale alcôve, inspirée par les alcôves alors à la mode à la cour. Toute cette pièce, y compris le plafond, a été recouverte de bois et décorée dans le style de la Renaissance. L'alcôve en chêne sculpté est un modèle rare, qui date du XVIIe. Sur les étagères, on peut voir divers objets retrouvés dans le château, ayant sans doute appartenu à la famille Rosmadec : clefs, ciseaux à chandelle, livres, bouteilles à vin anciennes ... Les portraits de cette pièce appartiennent aux familles Rosmadec ou Le Mintier, comme celui d'Anne de Goulaine, épouse de Sébastien de Rosmadec, et celui de Julie de Lorgeril, épouse d'Edmond Le Mintier, dernière dame à avoir habité ici. |
La cuisine du pavillon - Elle est construite probablement sur l'emplacement d'une ancienne tour, comme en témoignent encore les meurtrières que l'on peut voir dans le couloir et qui protégaient la porte d'entrée. L'aménagement intérieur date du XVIIIe siècle. on y remarque notamment la cheminée avec son tourne-broche à poids, le fourneau en pierre, encore appelé "potager", et divers ustensiles de l'époque. On note aussi un beau buffet du XVIIe siècle, et une armoire XVIIIe à deux corps. Le dallage irrégulier est fait de carreaux du XVIe et du XVIIIe siècles.
Le verger fortifié - Il était très grand et entièrement entouré de murs élevés avec des petites tours aux angles et au milieu. Au Moyen Age, c'était le domaine privilégié de la châtelaine car il n'y régnait aucun bruit. Mais en cas de danger, il pouvait aussi servir de refuge pour le bétail. On y trouvait des arbres fruitiers, et même des orangers au XVIIIe siècle, des fleurs et des légumes. Un dessin de ce jardin a été retrouvé sur l'ancien cadastre de 1810. On y trouvait aussi la très jolie chapelle, reconstruite et bénie plusieurs fois, mais qui a malheureusement été détruite au cours de ce siècle. Son emplacement est encore visible au fond du jardin, mais son clocher a été sauvé et se trouve maintenant sur la route de Berric, où l'on peut encore l'admirer.
Le chauffoir - Cette pièce curieuse, située à l'entrée, à droite du porche, est, malgré ses transformations, l'une des plus anciennes. C'était sans doute une tour, comme en témoignent les ouvertures restées visibles dans la cheminée. Par la suite, elle est devenue une salle de garde, puis un chauffoir où l'on se tenait après le travail et, enfin, un four où les paysans venaient faire cuire leur pain. Le linteau de la cheminée et la colonne centrale sont très anciens et faits de plusieurs pierres dont certaines proviennent de récupération. On remarque aussi sur l'une d'elles une grossière croix de chouans, sans doute gravée à la Révolution. Il est dit que des messes étaient célébrées en cachette à cet endroit par des prêtres réfractaires et que l'un d'eux aurait même été blessé en sortant du Plessis. Les légendes sur cette époque sont encore très vivaces dans la région. Elles nous relient très directement à l'histoire du Plessis dont elles maintiennent la tradition.
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Eliane Le Mintier de Léhélec et Emmanuel Salmon Legagneur Visite du château par les membres de la S.A.H.P.L. le 20 octobre 1996
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Nous tenons à remercier particulièrement M. et Mme Salmon Legagneur, propriétaires du château, qui ont eu la gentillesse de recevoir les membres de notre société le dimanche 20 octobre 1996 et de les accompagner dans la visite de ce superbe manoir qu'ils ont pu découvrir à travers les différentes époques qui ont marqué sa vie. — –
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(1) Les photos se trouvent dans le Bulletin n°27 - 1996 (haut de page) |