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CHRONIQUE DES JOURS SOMBRES

LORIENT, juin 1940

 

 

Lucien LE PALLEC

Université du temps Libre

   

En cette mi-juin 1940, alors que l'Amirauté jette sa première note d' alarme, en faisant embarquer tout l'or de la Banque de France, ainsi que les réserves des banques belges et polonaises sur les navires, les troupes alliées rembarquent dans les ports de l'Atlantique. Lorient vit dans l'inquiétude et dans la peur. Dans cette peur entretenue par les récits incontrôlables de réfugiés venant du nord de la France , mais aussi par les "bobards'' formellement démentis par la presse locale, tels "cinquante parachutistes allemands largués sur Auray'' "l'arrestation d'un espion à Keroman'' ou «ce train de réfugiés bombardé entre Vannes et Auray ». Et pourtant... l'ennemi n'est plus loin !

 

Le 16 juin, quatre chasseurs de sous- marins les chasseurs 8, 12, 15 et 16 arrivent traînés à la remorque, en provenance de Cherbourg, fuyant l'avance des troupes allemandes. Le même jour l'aviso Ailette de la 5e escadrille d'avisos, basée à Lorient, signale dans son journal d'opérations : "15h, alerte aérienne. A 18h, le torpilleur Epée, en entraînement entre Groix et Belle-Ile, ouvre le feu sur des appareils identifiés comme étant des Junkers 88 ou des Heinkels 111.

Nulle trace de ces événements dans la presse locale qui, toutefois, avait signalé le 13 juin "les deux alertes aériennes n'ont donné lieu à aucun incident... ! '' L'on se borne à indiquer les moyens d'économiser l'essence, à annoncer un service restreint pour les transports aux plages et à interdire les cafés et restaurants aux marins étrangers après 21 h.

  Le 17 juin à deux heures du matin, on entre précipitamment au bassin l'aviso La Moqueuse , alors en armement depuis le 25 janvier, pour lui mettre ses hélices. A 6h30, arrive de Brest le croiseur auxiliaire Victor Schoelcher qui, amarré sous la grande grue, commence, dès son amarrage à embarquer l'or belge et polonais entreposé dans les caves des approvisionnements de la flotte[1].

 

A 20h, ce même jour, le capitaine de corvette Griffe prend la permanence état- major à la Préfecture maritime, alors que l'aviso Ailette note : Avions survolant l'arsenal, tiré 37 coups de 37 mm .'' L'officier de permanence consigne : "Avions survolant la rade à basse altitude, très visibles dans la clarté de la lune, plu- sieurs mines magnétiques à parachute aperçues tombant passe ouest, une passe sud, une ou deux explosent sur les rochers.''

Le 18 juin à 0h15, "alerte aérienne'' signalée par la DCA de Kerpape qui ouvre le feu sur des avions venant du Nord. "Les avions descendent à basse altitude, faisant la navette au-dessus de la plage de Kerpape jusqu'à lh45, lancent de grosses bombes (sic) dans l'est avec des gerbes très importantes de 50 m (sic) de haut ! Les alertes se renouvellent à 3h10, 5h30, 6h30, 8h20 et 10h30.

Pendant ce temps, l'embarquement de l'or se poursuit sans relâche à bord du Victor Schoelcher, toute source lumineuse masquée par des bâches. Et depuis 0h30, la passe est minée et la navigation interdite. A 7h 08 l 'aviso Ailette ouvre le feu sur deux avions. A l1 h, l'aviso-dragueur Commandant Domine, qui était amarré au ponton Isère, face à la caserne du Péristyle, quitte son poste et se met en attente en rade. A 12h, le croiseur auxiliaire Victor Schoelcher appareille, circuit de démagnétisation en fonction. L'embarquement de l'or s'est terminé à 3h. Quatre mille neuf cent quarante- quatre caisses belges soit 200 tonnes d'or et mille deux cent huit caisses polonaises soit 75 tonnes d'or ont été embarquées. Rejoint par le torpilleur Epée, qui l'escorte jusqu'en face de Saint-Nazaire, le Victor Schoelcher arrivera sans encombre à Casablanca le 23 juin.

Dans la nuit, des pêcheurs ayant aperçu la chute des mines, sont rassemblés au PC secteur du front de mer afin de situer les mines sur la carte ; elles semblent être tombées sur un alignement du clocher de Plœmeur par le château d'eau de Larmor.

A 13h tombe « ordre d'appareillage général ». Tous les navires doivent rallier Casablanca. Ceux dont l'autonomie ne le permet pas, doivent partir en Angleterre.

Deux navires sont sabordés : l'aviso Enseigne Henry et le patrouilleur La Quimpéroise. Dès la confirmation de l'ordre, le torpilleur Bouclier appareille. Ce bâtiment que l'on avait sorti du bassin dans la nuit du 17 au l8, après avoir muni sa cloison avant avec un paillet Makaroff emprunté au croiseur De Grasse en construction. Le Bouclier embarque une trentaine d'apprentis mécaniciens, sept officiers dont deux ingénieurs des constructions navales. Il rejoint le remorqueur Mamouth et le contre-torpilleur Le Triomphant sous Groix. Il arrivera le 21 au soir à Plymouth.

Le 18 juin dans l'après-midi, les cuves à mazout du Priatec, situées sur la rive gauche de l'arsenal sont incendiées, ainsi que celles se trouvant à proximité du pont Gueydon sur la même rive. Le mazout des cuves éventrées se répand dans le Scorff qui se couvre de flammes[1].

Si le Strasbourg[2] et le Condé résistent aux flammes, il n'en est pas de même pour la Sylphe et sans doute aussi le Crocodile et le Dunarea que l'on trouvera à l'état d'épave à la libération.

Sur la rive droite, le Vaucluse et La Melpomène , embrasés sous la grande grue, s'enfoncent dans les eaux. Le vieil aviso Scorpion[3], vétéran des pontons du Scorff, amarré au Péristyle, non loin de l’Enseigne Henry subit le même sort. La rade est couverte par une épaisse fumée noire poussée par les vents de nord-est.

Seuls quelques vieux navires condamnés, servant de pontons, sont épargnés par la marée de feu. Les anciens avisos Audacieuse et Surveillante et le ponton Isère qui auront le triste privilège de voir accoster contre leur coque les sous- marins allemands tels : l’U.30 de Lemp, 1' U.47 de Prien ou 1' U.99 de Kretshmer, accueillis par les fanfares et les bouquets de fleurs.

Le 19 juin, le chalutier Tanche, arrivé le matin, quitte Lorient dans l'après-midi et saute sur une mine dans la passe ouest. On dénombrera 190 victimes.

Le 17 juillet 1940, le sous-marin allemand U.30 franchira la passe de Port- Louis pour venir se ravitailler, sous un ciel obscurci par les fumées du Priatec où l'incendie fait toujours rage, et ne sera éteint que le 26 juillet. Image symbole de l'Occupation qui devait durer cinq ans et apporter ruines, deuils et misère. . .

 



[1] 95 000 tonnes de mazout réparties en dix cuves.

[2] Strasbourg (ex-Regensburg), ponton d'amarrage depuis le 15 janvier 1936

[3] Désarmé en août 1 902, le Scorpion avait également servi de but de tirs avant de servir de ponton d’amarrage