DOUZE STELES GRAVEES D’UNE CROIX HAMPEE
DANS LE MORBIHAN OCCIDENTAL
Dominique PAULET
Kerulvé - Lorient
I Présentation générale |
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Evolution des images de croix | Les croix hampées |
Origine des stèles elles-mêmes | Le groupe des stèles du Morbihan |
Christianisation des stèles | |
II Description des douze stèles |
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Crac'h, Prostlon, Brandérion, Langonbrac'h, Kervanguen, Kervily |
Kergonan, Locoal, Saint-Jean Brévelay, Plouharnel, Landaul, Plumergat |
1-Coup d'oeil général |
2-Essai de mise en séquences de la période |
3-Quatre stèles bien proches |
4-Hampe courte, gravure au trait |
5-Hampe large et longue |
6-Des gravures plus récentes |
7-Conclusion |
Carte Notes |
I. Présentation générale I.1. Évolution des images de croix Le motif de la croix, label universellement répandu, n’est pas étudié ici sous son aspect religieux mais en tant que repère archéologique. Sa forme a évolué : le tracé actuel en croix latine, où le bras vertical se prolonge vers le bas, n’était guère utilisé au premier millénaire ; la croix était alors représentée avec des bras égaux, selon le type croix grecque ou croix de Malte. Parfois ce dessin était complété à sa partie inférieure par la figuration d’un manche ou hampe, d’où l’appellation « croix hampée ». Pour être plus précis il convient d’ajouter qu’au début de la chrétienté, jusqu’au VIème siècle environ, ce n’était pas le symbole de la croix qui était d’usage, mais le sigle désigné « chrisme », basé sur un X. Autrement dit tout monument ancien portant la marque d’une croix s’inscrivant dans un carré, hampée ou non, est attribuable au haut Moyen Age sous réserve d’examen complémentaire. Nous verrons que de telles gravures, sur des stèles locales, sont assez souvent accompagnées d’épigraphes qui permettent de préciser quelque peu leur datation.
I.2. Origine des stèles elles-mêmes
I.3. Christianisation des stèles A la chute de l’empire romain l’art de tailler la pierre semble avoir été perdu dans nos régions. A défaut de réaliser des monuments marquant l’emprise de la religion, des stèles de l’Age du Fer ont été utilisées, servant de supports à de frustes gravures. Plus tard, principalement dans le Léon, l’emploi de stèles anciennes comme piédestal à des croix taillées devient courant. Les gravures consistent le plus souvent en représentations de la croix à bras égaux, pattée (les bras s’élargissent vers leur extrémité). Des inscriptions épigraphiques figurent aussi sur un certain nombre de stèles ; l’examen en a été effectué par l’équipe du CIPS (Celtic Inscribed Stone Projects) qui a publié un copieux ouvrage2 fournissant une approche de datation pour chacune des inscriptions finement analysée. Lorsque l’épigraphe est jointe à une figuration de croix, cela peut donner une indication chronologique applicable à telle ou telle image de croix gravée sans accompagnement de texte. La présente étude utilise le travail du CIPS, en insistant davantage sur les gravures de croix elles-mêmes. I.4. Les croix hampées Il est probable qu’à l’origine la hampe est apparue comme une nécessité afin de porter haut, lors de cérémonies liturgiques, des croix du type grec sans doute en bois. L’historien Grégoire de Tours3 fait allusion dès le VIème siècle à une procession « avec des croix ». Une autre interprétation de la hampe consiste à la considérer comme l’image d’un support, d’un pied de croix-monument. Les figurations rencontrées permettent souvent de fixer l’une ou l’autre interprétation ; parfois le motif est complété par une sorte de piédestal à la base. En marge de manuscrit d’époque carolingienne, l’image de la croix est prolongée vers le bas par un trait symbolisant la hampe. Le motif de la hampe figure sur des bas-reliefs byzantins (voir plus loin à propos de la stèle de Langonbrac’h §II.4). La représentation de croix hampées est encore présente au gré des sculptures pré-romanes ou romanes : avec hampe fine et longue sur un pilier en remploi du cloître de Moissac (Tarn et Garonne), avec hampe courte sur un chapiteau de l’abbaye de Thoronet (Var). Les gravures de croix hampées sont rares à l’ouest et au nord de la Basse Bretagne. A Bréléven en Cléder4 (Finistère), on voit cependant sur une croix taillée une figuration du type de celle de Kervenguen §II.5. Ailleurs la grande stèle cannelée de Sainte Tréphine (Côtes d’Armor) porte, outre une courte inscription, une croix dont la hampe se mêle aux cannelures ; ce monument se présente comme une réplique isolée et distante de nos stèles locales. I.5. Le groupe des stèles du Morbihan occidental Entre l’estuaire du Scorff et le nord de Vannes, sur un secteur d’environ 50x40 km, se tient une étonnante concentration de stèles à croix hampée. Nous en dénombrons douze, dont la moitié sont munies d’une inscription. Il en existe peut-être d’autres, et certaines ont disparu ; tenons néanmoins ce groupe comme significatif. Les stèles à proximité de la ria d’Etel auraient, dit-on parfois, été mieux protégées car dans une zone à l’écart des communications ; au contraire pourtant, ce pays semble avoir toujours été activement habité. L’abondance particulière de monuments originaux dans un secteur délimité traduit l’occupation par une population caractéristique. L’emplacement actuel des stèles n’est le plus souvent pas exactement celui où elles se tenaient à l’origine. Dans bien des cas elles auraient été rapprochées d’une église ou d’une chapelle, vraisemblablement à peu de distance. Parfois un déplacement plus récent est connu. La carte ci-après représente une implantation reconstituée et doit être tenue comme à peu près valable. Les stèles de l’Age du Fer sont abondantes dans le secteur concerné. Il est intéressant d’examiner en quelle proportion celles-ci ont été christianisées par une croix hampée. Considérons les stèles hautes, les plus utilisées à cet effet : 32 sont répertoriées dans le périmètre ; on peut donc considérer qu’environ une pierre disponible sur trois a été employée. Quant au pays s’étendant du Blavet à la rivière d’Auray, il répond à une définition historique : c’est le Pou Belz, antique pagus touchant à la grande voie romaine Vannes-Quimper et traversé par ses dérivations vers Locmariaquer et vers le port d’embouchure du Blavet. Plus tard les paroisses primitives de Plouhinec, Guignac, Ploemel, Plouharnel, Brec’h et Kaer constitueront le doyenné ecclésiastique de Paou-Belz5 ; si l’on s’en tient aux limites de ce domaine, plusieurs de nos stèles n’y sont pas incluses. La frontière du Pou Belz a pu être fluctuante. Ce pays a été un pôle important de l’organisation bretonne initiale, une base de départ d'une expansion incluant la prise en mains de Vannes à la fin du VIème siècle. Il n’est pas étonnant d’y lire sur des stèles les noms de personnages appartenant à des familles liées au pouvoir et ayant pu prospérer longtemps sur place. D’autres vestiges archéologiques que les stèles marquent l’occupation ancienne du secteur, notamment l’exceptionnel sarcophage de Lomarec en Crac’h (démembrement de Kaer) qui remonte au très haut Moyen Age et le grand camp fortifié de Botalec en Landévant qu’une datation approximative sur bois brûlé situe aux VIIème/IXème siècles. La description suivante des douze stèles est présentée dans un ordre quelque peu arbitraire, allant grosso modo de celles portant au moins une croix sculptée en creux montée sur une hampe fine à celles où figure une croix marquée au simple trait et à hampe courte. Les représentations des stèles figurées sont calibrées en dimension à proportion de leur taille réelle, de manière à donner immédiatement à l’œil l’impression de leurs hauteurs respectives.
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