Aux
sources de la création des jardins de la Marine – Nantes, l’ancêtre
médical – Rochefort, un des deux premiers jardins de la Marine –
Toulon, le plus récent – Lorient, le jardin de
la Compagnie
des Indes – Brest, le plus prestigieux de tous les Jardins de France.
Lorient,
vouée toute entière à
la Compagnie
des Indes, ne possédait pas de corporation à caractère médical, médecins,
chirurgiens et pharmaciens étant tous des employés de
la Compagnie
des Indes. En 1724, soit soixante ans après sa création,
la Compagnie
ne souhaitait plus s’adresser à des apothicaires extérieurs fort coûteux
pour s’approvisionner en produits. Elle organisa une première
culture de simples (près de son petit hôpital du centre ville, à
l’angle de la rue de Bretagne et la rue des Prophètes et à proximité
de l’enclos de
la Compagnie
). L’année suivante, 1725, une impressionnante apothicairerie dotée de
forts moyens financiers et de très gros stocks est fondée dans
l’enclos du port, près du nouvel hôpital de l'hôtel Dieu (établissement
civil de
la Compagnie
des Indes puis de l’État). Des logements sont construits pour les médecins,
et chirurgiens, et pour le chef apothicaire qui dirige un énorme service
autonome, indépendant de tout autre notamment de celui de l’hôpital.
Bientôt, le premier terrain de cultures trop petit et mal situé, est
abandonné pour un grand jardin botanique créé près de
l’apothicairerie. Le regretté docteur Romieux avait trouvé la trace de
plantes, graines et arbustes de Madagascar, réexpédiés par Poireau
(chirurgien à Lorient en 1760) à Jussieu pour le jardin du roi de Paris.
Malheureusement, les appellations vernaculaires utilisées sont peu
identifiables.
Espaces verts de l’Enclos
Quinze
ans plus tard, au jardin de Monplaisir à l’Isle-de-France,
l’Intendant Pierre Poivre introduit l’arbre à pain, le mûrier à
gros fruit vert de Madagascar, l’arbre à huile essentielle de rose,
l’arbre à suif, le thé, le bois de campêche, le bois immortel ou
nouroucocuyé, le cannelier de Ceylan et de la Cochinchine, plusieurs variétés
de cocotier, dattier, manguier, du chêne, sapin, vigne, pommier, pêcher
d’Europe, avocat des Antilles, mabolo des Philippines, le sagoutier, le
savonnier de Chine, le mangoustan dont le fruit est renommé dans toute
l’Asie, le muscadier et le giroflier, etc. Il organise l’envoi de ces
espèces vers le jardin de l’Orient (plus de nombreuses plantes sèches
pour l’apothicairerie) où l’acclimatation dépend du médecin Galloys.
Le frère de ce dernier, aumônier de la Compagnie, passionné de
botanique, fait le voyage à la Chine du 20 février 1764 au 10 juillet
1765, sur le Berryer, avec pour mission de rapporter à Lorient des espèces
indigènes. Au retour d’un autre voyage, il écrit une lettre de
protestation au ministre de la Marine, le duc de Praslin (1712-1785), pour
avoir du faire redescendre sur l’île, sur ordre de Poivre, les plantes
qu’il avait fait embarquer sur le Berryer.
L’importance accordée aux plantes et aux épices est confirmée
par l’ordonnance du 16 juillet 1770, cosignée par Poivre et le
gouverneur François-Julien Du Dresnay Desroches : l’exportation
non officielle de plantes ou de graines, récemment introduites en Isle de
France, sera considérée comme haute trahison ; voler ou abîmer des
plantes sera un grave délit. A cette date, la marine royale succède à
la seconde Compagnie des Indes agonisante.
Le 1er septembre 1773, Galloys expose au ministre la
configuration du jardin botanique de Lorient et de ses bâtiments :
« Vous
verrés Monseigneur par le plan du port que l’emplacement isolé ou
l’on établit actuellement la serre chaude du Roy y est très propre.
Les plans étrangers que j’y élève avec succès dans une simple
orangerie que le ministre m’avoit permis de faire a mes frais pour la
main d’œuvre me font espérer que ceux qui demendent une serre chaude y
acquéreront aisément tout ce que lon y désire pour les mettre en état
de soutenir la route d’icy Paris. Les connoissances que j’ay seul icy
sur cette partie qui a raport a mon état me mettront a même de bien
servir, et d’exécuter tous les ordres qu’il vous plaira de me donner.
Il est presque indispensable que la serre chaude soit près de ma maison
afin que j’y aye l’œil, sans me détourner de mon état… »
Ce sera le cas de tous les jardiniers chefs, ou même médecins
qui aimeront habiter à peu de distance des lieux de productions, pour
pouvoir s’y précipiter en cas de problème, gel, grêle, incendie etc.
Au
cours d’échanges épistolaires réguliers avec Galloys, Thouin,
directeur des cultures du jardin des plantes de Paris accuse réception,
le 19 août 1777, de 15 arbres de 13 espèces différentes provenant
d’Asie, et ayant transité par Lorient, où assurément sont restés des
plans et des graines doublons de cet envoi :
« 3 orangers pamplemousse à chaire rouge de la Chine, 1
citronnier hybride fort singulier de la Chine, 1 grosse espèce d’orange-mandarine
de la Chine, 1 petite espèce d’Orange de la Chine, 1 oranger dit
monstre de la Chine. Je ne crois pas que ces quatre espèces d’orangers
ay paru précédemment en Europe, ce qui les rend précieux. 1 jam Rosa de
l’Île de France, 1 acacis dont les plants ressemblent à des cocobs de
soye cramoisie, arbre de l’Inde ; 1 rose de Cayenne ou Hybiscus
Mutabilis, 1 Periflora, espèce de liane de Chine, arbre sarmenteux, 1
raquette à épines blanches, arbre de l’Île de France, 1 grenadier à
feuilles rondes de Chine, 1 solanum ou Oranger de Quito. Plus 23 espèces
de graines de l’Inde. »
Malheureusement,
en recherche d’économies, le ministère suspend le traitement de
Galloys en juillet 1777, le jugeant inutile. Le 25 août, Galloys, soutenu
par Jussieu, réagit par un mémoire adressé au ministre, accompagné
d’une note flatteuse sans doute écrite par l’Intendant. Ce mémoire
se complète d’un autre exposé rappelant les mérites de Galloys :
« Le ministre a reçû une caisse qui contenoit le litchy,
le lougane et autres arbres rares dont plusieurs n’ont point encore paru
au jardin du Roy ; Le S[ieur]r Galloys à fait l’an passé un envoy
à St Domingue un autre à la Martinique et un troisième à la Guadeloupe
qui contenoient des manguiers, des vacois, des vavauques des oignons, pain
des hotentots et cela est à la connoissance du ministre qui a donné ses
ordres à ce sujet et qui à vu que le S[ieu]r Galloys avoit pris toutes
les mesures qui dépendoient de lui pour assurer le succès.
Les habitants de la Martinique ont le plus grand empressement de
cultiver plusieurs arbres qui ne se trouvent que dans l’Inde et dont ils
pourroient tirer un grand parti ; d’un autre côté on est prévenu
qu’il y a des arbres à l’Amérique qu’il seroit également très
utille de transporter aux Isles de France et de Bourbon, au moins ne
l’est il d’y envoyer plusieurs espèces d’arbres et de légumes de
France. L’établissement de Lorient fourni et peut fournir à tout cela
sans grande dépense.
Le S[ieu]r Galloys se contente des 1 200 L. assignées ci devant par
le Roy pour l’entretien de son jardin de Lorient, pour se convaincre
qu’il n’y a rien de trop, il suffit d’entrer dans les détails des
frais indispensables… »
En conséquence de ses actions, Vatable, major de bataillon à la
Guadeloupe, écrit à Galloys pour le remercier de ses envois et le prie
de lui procurer des arbres à pain car la faim règne sur l’île, ravagée
par un ouragan, et les esclaves manque de manioc.
Malgré
ces témoignages, le ministre réclame une enquête complémentaire.
Jussieu et Thouin envoient de nouvelles lettres de soutien mais Galloys
doit renouveler sa démarche à deux reprises. Bientôt sa mort survenu en
1779 va résoudre le problème de son indemnité. Un an après, le problème
du financement est théoriquement résolu, car un personnage très riche,
cultivé et amateur de botanique, se présente pour obtenir la place
flatteuse de directeur du Jardin. Il s’agit de Charles-Denis Dodun de
Neuvry, écuyer, ancien directeur des fermes du Roy à Lorient. Il est
choisi, mais ne va pas répondre aux espoirs soulevés.
Une lettre adressée au ministère, le 29 janvier 1787, donne des
informations peu connues sur la catastrophique situation lorientaise de
cette époque :
« Il existe dans la seconde enceinte de l’arsenal un
Jardin appartenant au Roi et dont la jouissance a été accordée en 1780.
à M. Dodun ancien directeur des fermes à L’Orient. Feu M. Galloys médecin
de la marine qui en jouissoit à ce titre y avoit formé un jardin
botanique. Il lui étoit alloué à cet effet 1200 L. pour l’entretien
d’une serre-chaude destinée à la conservation des plantes exotiques
dont il devoit garnir le Jardin du Roi à Paris... Les plantes précieuses
ont été enlevées ou péries faute de soins ; ce qui ne laisse
aucun doute encore, c’est que la serre qui n’a jamais été chauffée
ni entretenue est entièrement brisée ; pourrie et hors de service ;
en un lot ce jardin est dans un état de délabrement tel qu’il
n’offre plus qu’un amas de plâtrages et de décombres [ramenés] des
maisons de M. Dodun.
Dans cet état de chose, Monseigneur, nous vous supplions
d’ordonner que la jouissance de ce jardin cesse d’appartenir à M.
Dodun »
Devant cette situation sans espoir, Thevenard, commandant de la
Marine, et Clouet, commissaire général, proposent de faire raser les
murs du jardin, et le nettoyer des décombres accumulés, pour pouvoir y
entreposer les bois de construction des bateaux, alors dispersés dans
l’arsenal. Ils précisent que Dodun n’aura
aucune indemnité à réclamer car il a joui du Jardin pendant sept
ans et toutes les plantations qui s’y trouvaient ont été retirées et
repiquées dans ses propriétés. Le ministre approuve. A la veille de la
Révolution, les malversations de Dodun ont ainsi signé la mort du
jardin.
Le 9 février suivant, un autre mémoire conclue que Dodun devra
rembourser 1081 L. 2 s. à la veuve Galloys
pour les arbres fruitiers, arbustes et ustensiles et 1100 L. pour
les frais de construction de la serre.
Le jardin ne répondait plus non plus de longtemps, à son rôle de
pourvoyeur de simples de base. Deux ans plus tôt, lors de la création de
la troisième Compagnie des Indes dite « de Calonne », la
fourniture des drogues et des médicaments nécessaires aux coffres de mer
était déjà assurée par les pharmacies de la marine royale, car la
vieille apothicairerie de la Compagnie, privée de matières premières,
avait cessé toute activité. En 1791, la qualité d’une nouvelle
pharmacie royale lorientaise est attestée, mais les produits de base
paraissent venir de l’extérieur, même s‘il est possible qu’aient
subsisté quelques carrés de plantes. Si les deux premières compagnies
des Indes ont été de longtemps largement et parfaitement étudiées, la
troisième présente encore bien des mystères et peu d’informations
sont encore publiées, laissant aux chercheurs, un intéressant champ
d’investigation.
A la fin du dix-huitième siècle et au début du siècle suivant,
de nombreux jardins privés lorientais et à Port-Louis, offrent
d’exquises variétés de plantes rapportées par les capitaines. Une
preuve de la fabrication privée
des simples dans la région, est donnée par Boucher de Perthes qui
signale en 1819, avoir vu près de Lorient, un champ entier de rhubarbe,
produit médicinal très cher, cette production pourtant modeste
rapportant plus de 20 000 francs or de l’époque. Les produits étaient
vendus sous l’appellation un peu fallacieuse de Rhubarbe de Chine, et
possédaient certes les mêmes qualités purgatives que leurs frères
importés, mais à condition de forcer les doses ! Les deux palmiers
subsistant près de la Mairie, mêmes anciens ne peuvent venir du jardin
primitif. Lorient n’a pas eu de chance avec son jardin, mais c’est une
ville pleine d’avenir.
[Ces éléments
sont extraits de l’ouvrage de Claude-Youenn Roussel : Jardins
botaniques de la Marine en France, Spézet, Coop-Breizh, 2002.]
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