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 LE JARDIN

 

DE LA COMPAGNIE DES INDES A L’ORIENT

 

 

 

Claude-Youenn Roussel,

extrait de la conférence pour la SAHPL

Lorient, le samedi 22 avril 2007 

 

 

 

 

Les Jardins botaniques de la Marine, des origines à nos jours

 

Aux sources de la création des jardins de la Marine – Nantes, l’ancêtre médical – Rochefort, un des deux premiers jardins de la Marine – Toulon, le plus récent – Lorient, le jardin de la Compagnie des Indes – Brest, le plus prestigieux de tous les Jardins de France.

 

 

 Plan de la ville de Lorient, dont le jardin botanique XVIIIème  - A.N. (Document extrait de l’ouvrage

              de  C-Y Roussel, Jardins botaniques de la Marine en France, Spézet, Coop-Breizh, 2002)

Lorient, vouée toute entière à la Compagnie des Indes, ne possédait pas de corporation à caractère médical, médecins, chirurgiens et pharmaciens étant tous des employés de la Compagnie des Indes. En 1724, soit soixante ans après sa création, la Compagnie ne souhaitait plus s’adresser à des apothicaires extérieurs fort coûteux  pour s’approvisionner en produits. Elle organisa une première culture de simples (près de son petit hôpital du centre ville, à l’angle de la rue de Bretagne et la rue des Prophètes et à proximité de l’enclos de la Compagnie ). L’année suivante, 1725, une impressionnante apothicairerie dotée de forts moyens financiers et de très gros stocks est fondée dans l’enclos du port, près du nouvel hôpital de l'hôtel Dieu (établissement civil de la Compagnie des Indes puis de l’État). Des logements sont construits pour les médecins, et chirurgiens, et pour le chef apothicaire qui dirige un énorme service autonome, indépendant de tout autre notamment de celui de l’hôpital. Bientôt, le premier terrain de cultures trop petit et mal situé, est abandonné pour un grand jardin botanique créé près de l’apothicairerie. Le regretté docteur Romieux avait trouvé la trace de plantes, graines et arbustes de Madagascar, réexpédiés par Poireau (chirurgien à Lorient en 1760) à Jussieu pour le jardin du roi de Paris. Malheureusement, les appellations vernaculaires utilisées sont peu identifiables.

 

 

 Espaces verts de l’Enclos

Quinze ans plus tard, au jardin de Monplaisir à l’Isle-de-France, l’Intendant Pierre Poivre introduit l’arbre à pain, le mûrier à gros fruit vert de Madagascar, l’arbre à huile essentielle de rose, l’arbre à suif, le thé, le bois de campêche, le bois immortel ou nouroucocuyé, le cannelier de Ceylan et de la Cochinchine, plusieurs variétés de cocotier, dattier, manguier, du chêne, sapin, vigne, pommier, pêcher d’Europe, avocat des Antilles, mabolo des Philippines, le sagoutier, le savonnier de Chine, le mangoustan dont le fruit est renommé dans toute l’Asie, le muscadier et le giroflier, etc. Il organise l’envoi de ces espèces vers le jardin de l’Orient (plus de nombreuses plantes sèches pour l’apothicairerie) où l’acclimatation dépend du médecin Galloys. Le frère de ce dernier, aumônier de la Compagnie, passionné de botanique, fait le voyage à la Chine du 20 février 1764 au 10 juillet 1765, sur le Berryer, avec pour mission de rapporter à Lorient des espèces indigènes. Au retour d’un autre voyage, il écrit une lettre de protestation au ministre de la Marine, le duc de Praslin (1712-1785), pour avoir du faire redescendre sur l’île, sur ordre de Poivre, les plantes qu’il avait fait embarquer sur le Berryer.

 L’importance accordée aux plantes et aux épices est confirmée par l’ordonnance du 16 juillet 1770, cosignée par Poivre et le gouverneur François-Julien Du Dresnay Desroches : l’exportation non officielle de plantes ou de graines, récemment introduites en Isle de France, sera considérée comme haute trahison ; voler ou abîmer des plantes sera un grave délit. A cette date, la marine royale succède à la seconde Compagnie des Indes agonisante.

 Le 1er septembre 1773, Galloys expose au ministre la configuration du jardin botanique de Lorient et de ses bâtiments :

    « Vous verrés Monseigneur par le plan du port que l’emplacement isolé ou l’on établit actuellement la serre chaude du Roy y est très propre. Les plans étrangers que j’y élève avec succès dans une simple orangerie que le ministre m’avoit permis de faire a mes frais pour la main d’œuvre me font espérer que ceux qui demendent une serre chaude y acquéreront aisément tout ce que lon y désire pour les mettre en état de soutenir la route d’icy Paris. Les connoissances que j’ay seul icy sur cette partie qui a raport a mon état me mettront a même de bien servir, et d’exécuter tous les ordres qu’il vous plaira de me donner. Il est presque indispensable que la serre chaude soit près de ma maison afin que j’y aye l’œil, sans me détourner de mon état… » 

 Ce sera le cas de tous les jardiniers chefs, ou même médecins qui aimeront habiter à peu de distance des lieux de productions, pour pouvoir s’y précipiter en cas de problème, gel, grêle, incendie etc.

Au cours d’échanges épistolaires réguliers avec Galloys, Thouin, directeur des cultures du jardin des plantes de Paris accuse réception, le 19 août 1777, de 15 arbres de 13 espèces différentes provenant d’Asie, et ayant transité par Lorient, où assurément sont restés des plans et des graines doublons de cet envoi : 

 « 3 orangers pamplemousse à chaire rouge de la Chine, 1 citronnier hybride fort singulier de la Chine, 1 grosse espèce d’orange-mandarine de la Chine, 1 petite espèce d’Orange de la Chine, 1 oranger dit monstre de la Chine. Je ne crois pas que ces quatre espèces d’orangers ay paru précédemment en Europe, ce qui les rend précieux. 1 jam Rosa de l’Île de France, 1 acacis dont les plants ressemblent à des cocobs de soye cramoisie, arbre de l’Inde ; 1 rose de Cayenne ou Hybiscus Mutabilis, 1 Periflora, espèce de liane de Chine, arbre sarmenteux, 1 raquette à épines blanches, arbre de l’Île de France, 1 grenadier à feuilles rondes de Chine, 1 solanum ou Oranger de Quito. Plus 23 espèces de graines de l’Inde. »

Malheureusement, en recherche d’économies, le ministère suspend le traitement de Galloys en juillet 1777, le jugeant inutile. Le 25 août, Galloys, soutenu par Jussieu, réagit par un mémoire adressé au ministre, accompagné d’une note flatteuse sans doute écrite par l’Intendant. Ce mémoire se complète d’un autre exposé rappelant les mérites de Galloys :

 « Le ministre a reçû une caisse qui contenoit le litchy, le lougane et autres arbres rares dont plusieurs n’ont point encore paru au jardin du Roy ; Le S[ieur]r Galloys à fait l’an passé un envoy à St Domingue un autre à la Martinique et un troisième à la Guadeloupe qui contenoient des manguiers, des vacois, des vavauques des oignons, pain des hotentots et cela est à la connoissance du ministre qui a donné ses ordres à ce sujet et qui à vu que le S[ieu]r Galloys avoit pris toutes les mesures qui dépendoient de lui pour assurer le succès.

Les habitants de la Martinique ont le plus grand empressement de cultiver plusieurs arbres qui ne se trouvent que dans l’Inde et dont ils pourroient tirer un grand parti ; d’un autre côté on est prévenu qu’il y a des arbres à l’Amérique qu’il seroit également très utille de transporter aux Isles de France et de Bourbon, au moins ne l’est il d’y envoyer plusieurs espèces d’arbres et de légumes de France. L’établissement de Lorient fourni et peut fournir à tout cela sans grande dépense.

Le S[ieu]r Galloys se contente des 1 200 L. assignées ci devant par le Roy pour l’entretien de son jardin de Lorient, pour se convaincre qu’il n’y a rien de trop, il suffit d’entrer dans les détails des frais indispensables… »

 En conséquence de ses actions, Vatable, major de bataillon à la Guadeloupe, écrit à Galloys pour le remercier de ses envois et le prie de lui procurer des arbres à pain car la faim règne sur l’île, ravagée par un ouragan, et les esclaves manque de manioc.

Malgré ces témoignages, le ministre réclame une enquête complémentaire. Jussieu et Thouin envoient de nouvelles lettres de soutien mais Galloys doit renouveler sa démarche à deux reprises. Bientôt sa mort survenu en 1779 va résoudre le problème de son indemnité. Un an après, le problème du financement est théoriquement résolu, car un personnage très riche, cultivé et amateur de botanique, se présente pour obtenir la place flatteuse de directeur du Jardin. Il s’agit de Charles-Denis Dodun de Neuvry, écuyer, ancien directeur des fermes du Roy à Lorient. Il est choisi, mais ne va pas répondre aux espoirs soulevés.

 Une lettre adressée au ministère, le 29 janvier 1787, donne des informations peu connues sur la catastrophique situation lorientaise de cette époque :

 « Il existe dans la seconde enceinte de l’arsenal un Jardin appartenant au Roi et dont la jouissance a été accordée en 1780. à M. Dodun ancien directeur des fermes à L’Orient. Feu M. Galloys médecin de la marine qui en jouissoit à ce titre y avoit formé un jardin botanique. Il lui étoit alloué à cet effet 1200 L. pour l’entretien d’une serre-chaude destinée à la conservation des plantes exotiques dont il devoit garnir le Jardin du Roi à Paris... Les plantes précieuses ont été enlevées ou péries faute de soins ; ce qui ne laisse aucun doute encore, c’est que la serre qui n’a jamais été chauffée ni entretenue est entièrement brisée ; pourrie et hors de service ; en un lot ce jardin est dans un état de délabrement tel qu’il n’offre plus qu’un amas de plâtrages et de décombres [ramenés] des maisons de M. Dodun.

Dans cet état de chose, Monseigneur, nous vous supplions d’ordonner que la jouissance de ce jardin cesse d’appartenir à M. Dodun »

 Devant cette situation sans espoir, Thevenard, commandant de la Marine, et Clouet, commissaire général, proposent de faire raser les murs du jardin, et le nettoyer des décombres accumulés, pour pouvoir y entreposer les bois de construction des bateaux, alors dispersés dans l’arsenal. Ils précisent que Dodun n’aura  aucune indemnité à réclamer car il a joui du Jardin pendant sept ans et toutes les plantations qui s’y trouvaient ont été retirées et repiquées dans ses propriétés. Le ministre approuve. A la veille de la Révolution, les malversations de Dodun ont ainsi signé la mort du jardin.

 Le 9 février suivant, un autre mémoire conclue que Dodun devra rembourser 1081 L. 2 s. à la veuve Galloys  pour les arbres fruitiers, arbustes et ustensiles et 1100 L. pour les frais de construction de la serre.

 Le jardin ne répondait plus non plus de longtemps, à son rôle de pourvoyeur de simples de base. Deux ans plus tôt, lors de la création de la troisième Compagnie des Indes dite « de Calonne », la fourniture des drogues et des médicaments nécessaires aux coffres de mer était déjà assurée par les pharmacies de la marine royale, car la vieille apothicairerie de la Compagnie, privée de matières premières, avait cessé toute activité. En 1791, la qualité d’une nouvelle pharmacie royale lorientaise est attestée, mais les produits de base paraissent venir de l’extérieur, même s‘il est possible qu’aient subsisté quelques carrés de plantes. Si les deux premières compagnies des Indes ont été de longtemps largement et parfaitement étudiées, la troisième présente encore bien des mystères et peu d’informations sont encore publiées, laissant aux chercheurs, un intéressant champ d’investigation.

 A la fin du dix-huitième siècle et au début du siècle suivant, de nombreux jardins privés lorientais et à Port-Louis, offrent d’exquises variétés de plantes rapportées par les capitaines. Une preuve de  la fabrication privée des simples dans la région, est donnée par Boucher de Perthes qui signale en 1819, avoir vu près de Lorient, un champ entier de rhubarbe, produit médicinal très cher, cette production pourtant modeste rapportant plus de 20 000 francs or de l’époque. Les produits étaient vendus sous l’appellation un peu fallacieuse de Rhubarbe de Chine, et possédaient certes les mêmes qualités purgatives que leurs frères importés, mais à condition de forcer les doses ! Les deux palmiers subsistant près de la Mairie, mêmes anciens ne peuvent venir du jardin primitif. Lorient n’a pas eu de chance avec son jardin, mais c’est une ville pleine d’avenir.

 

[Ces éléments sont extraits de l’ouvrage de Claude-Youenn Roussel : Jardins botaniques de la Marine en France, Spézet, Coop-Breizh, 2002.]

 

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