LE
DIABLE DE LOCMELTRO Marie-France BONNEC En 1921, une petite jeune-fille de 12 ans vint s’installer chez son grand-père, au village de Locmeltro. Très vite, sa maîtresse d’école fut la proie de ce que l’on croyait être des plaisanteries d’un goût plutôt douteux : les poignées de sa classe étaient enduites d’excréments, excréments que l’on retrouvait dans la classe et que l’on voyait voler partout. On soupçonna bien sûr les jeunes-gens du village, qui furent étroitement surveillés. Mais les manifestations se multiplièrent : les encriers sautaient des tables, les livres et les cahiers étaient déchirés. Chose plus grave, la fillette de douze ans se dit être attaquée par le diable : il arrivait, il lui passait une corde au cou et tentait de l’étrangler. Pendant ce temps là, sorti des profondeurs d’un puits, un grand chien noir rôdait dans le village, semant la terreur parmi les autres chiens qui allaient se terrer « sous les pressoirs ». La chose dura. Les paysans avaient peur et gardaient leur maison, le fusil à la main. Sans nul doute, c’était : « LA PHYSIQUE » (sic…) Les curieux, les badauds, les sceptiques affluèrent. La fillette les voyait arriver … en esprit, et savait même le nombre de sous qu’ils possédaient dans leur gousset. Mais en présence de la foule, il n’y avait ni manifestation, ni « imbécillité ». Le diable de Locmeltro se taisait. Cette étrange situation dura quelques mois. Mais un jour, le grand-père de l’enfant, pris de désespoir, apostropha le Malin : « C’est une honte de t’attaquer à une petite fille innocente ; (on dit cependant qu’elle avait lu des livres défendus …) Si tu veux faire du mal, adresse-toi à moi. » Le soir même, son lit était plein de rutabagas, et toute la nuit, draps et couvertures lui furent retirés. Le Malin est malin ! La peur et la tension montaient. Puis vint un soir où un paysan trop nerveux tira un coup de fusil en l’air et toutes les vitres de la maison du grand-père alors se brisèrent. (En 1940 les fenêtres étaient toujours sans carreaux). …Et à partir de cet instant, le diable abandonna Locmeltro et s’en alla jouer ailleurs. En effet, l’enfant qui avait été conduite à l’hôpital de Pontivy, ce jour là, disparut de sa chambre et personne ne sut jamais comment elle déguerpit. On la retrouva dans la maison de ses parents à Melrand. Or, il s’y trouvait un jeune séminariste. Il lui parla longuement et arriva à ce qu’aucun exorciste n’avait pu faire : il chassa le diable de l’esprit de l’enfant. Ex
nihilo nihil
Rien
ne vient de rien Ces faits étranges me furent contés (1922) par différentes personnes qui les tenaient de leurs pères. La mémoire collective est bien étrange : voici maintenant l’aventure relatée de semaine en semaine par la presse locale. LE JOURNAL DE PONTIVY8
janvier 1922 LA MAISON HANTEE ou LE DIABLE DE LOCMELTRO Depuis quelques jours il n’est bruit à Guern et dans la région que d’une histoire de sortilèges, de revenants, d’esprits frappeurs, sorciers, lutins, influences malignes ; toutes les têtes sont absolument tournées par cette espèce de frayeur la plus absurde de toutes. Pensez donc ! Des pierres mystérieuses, qui ne peuvent venir que de l’enfer, puisqu’elles rougissent étrangement au feu, brisent les vitres d’une façon toute particulière, de gauche à droite et de bas en haut, jamais de droite à gauche ni de haut en bas - comprenne qui pourra - dans la maison d’un brave cultivateur du village de Locmeltro en Guern, M. Guéganic. Beaucoup voient dans ces manifestations diaboliques l’annonce de malheurs épouvantables pour tout le village. Le maire de Guern, le recteur, les gendarmes, les habitants sont sur les dents. Des hommes armés montent la garde autour de la maison sans pouvoir percer l’affreux mystère. La justice même s’est émue. Bref ! Les curieux affluent et les commentaires vont bon train ! Et nous sommes au 20ème siècle ! Le mystificateur a, paraît-il, interrompu le sabbat, depuis que la maréchaussée est sur les lieux. Espérons qu’il ne tardera pas à être démasqué pour la tranquillité des gens de la région. Il ne doit pas d’ailleurs être bien loin du théâtre de ses exploits. 15
janvier 1922 Nous disions dans notre dernier numéro, en parlant de la maison hantée, que le mystificateur –le diable, devrions-nous dire- ne devait pas être loin. En effet, il habitait la maison même et portait jupon. C’était une jeune bergère d’une quinzaine d’années, qui, cuisinée, a fini par avouer que c’était elle l’auteur du sabbat. Ah ! la mâtine, ce qu’elle a fait courir les curieux, dérangé les autorités et occupé les langues ! 22
janvier 1922 Le sabbat a pris fin : plus de démons, plus d’esprits frappeurs, plus de pierres infernales ni d’influences malignes ! La jeune bergère a été exorcisée sans qu’il ait été besoin de prières et d’eau bénite, la crainte du gendarme étant le commencement de la sagesse, « initium sapientae ». Pourtant, dans cette histoire abracadabrante, comme dans certaines pièces à tiroirs, il y a un « embrouillamini » du diable – c’est le cas de le dire – où s’enchevêtre une autre histoire de Bon de la Défense Nationale dans laquelle il est question de pommes de terre et de rutabagas, de banc-coffre et de pantalon kaki, de domestique et de patron. Le patron Guéganic accuse son domestique, Jean Quéro, qu’il a congédié depuis, après l’avoir eu deux ans à son service sans s’être jamais plaint de sa probité, de lui avoir dérobé un Bon de la Défense Nationale et un billet de cent francs serrés avec d’autres dans le banc-coffre de la cuisine. Le petit Quéro, interrogé, rétorque, avec une juvénile assurance, que ces « papiers » ont été glissés dans son pantalon kaki par le fils du patron lui-même, Mathurin Guéganic, qui, à son tour, nie comme un beau diable. Et voilà tout un écheveau d’accusations, de dénégations, d’affirmations contradictoires, bien difficile à démêler pour l’enquête. Attendons. Il n’y a pas eu de suite …
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